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11 juin 2013 | catégorie: les articles

Critique de Chemin Faisant, Georges Schwizgebel

On ne présente plus Georges Scwizgebel, maître de la métamorphose entre les maîtres du cinéma d’animation suisse, auteur entre autre de La Jeune Fille et les Nuages, prix du cinéma suisse en 2002 et plus récemment du métaphorique Retouches. Cette année, il nous revient avec un nouveau court métrage, intitulé Chemin Faisant, qui s’inscrit dans le cadre d’une collection de 55 films, La Faute à Rousseau, mêlant fictions, documentaires, essais et monté à l’initiative du cinéaste Pierre Maillart à l’occasion du tricentenaire de la naissance du philosophe suisse des lumières.

Chemin Faisant est d’abord et avant tout un hommage à un Rousseau méconnue du grand public, mélomane, à la vocation musicale contrariée, qui trouva malgré tout en la littérature un espace de composition, si silencieux fût-t-il, dont il en sortie des œuvres aussi majeurs que le Dictionnaire de la musique ou tout le chapitre des Confessions alloué à l’éloge de la mélodie, Où il est parlé de la mélodie et de l’imitation musicale. Le réalisateur extrait de ces ouvrages la quintessence des réflexions du philosophe sur la musique, à commencer par celle sur la mélodie, définie par Rousseau comme une faculté connectée à l’imaginaire et plus apte que l’harmonie, selon lui,  à retranscrire les passions humaines. Il en découle à nos oreilles une mélodie, signée Jacques Robellaz, porté par un violon aux mouvements sonores anguleux qui danse aux frontières de la discordance et s’accorde aux images dans une stridente symétrie. La mise en scène semble réglée à l’horaire de l’archet qui l’élance, avec des mouvements complexes de caméras, tantôt lents et ronds puis tantôt rapides et heurtés, faisant que l’œil de celle-ci semble continuellement osciller entre la cadence de la valse et celle de la fuite.

Par-là, le réalisateur questionne le rapport du son à l’image, de l’image à l’esprit, de l’esprit au son ; au même titre que la mélodie du violon épouse celle de la pensée, qui est image à l’écran, cette dernière épouse celle du violon ; accélération, décélération expriment le mouvement fluctuant de la pensée en proie à la spirale des images, qui est d’une cruelle cohérence bien qu’elle obéisse aux lois chaotiques de l’obsession. Il y a ainsi ce passage où les images par secondes s’amenuisent au point d’être nulles l’instant d’une demi-seconde, signe d’un essoufflement de l’esprit, avant de rejaillir à un rythme encore plus rapide et emporté. Le choix de la peinture animée prend alors tout son sens, grâce à son épaisse fluidité qui semble charger l’image de mélancolie.

Loin de faire danser le spectateur avec des jeux d’associations faciles, revus et revus, succombant à l’irrésistible et inépuisable flot de la métaphore et loin de l’hypnotiser en ayant recours à des mouvements, des sons et des couleurs propices à cet exercice, Georges Scwizgebel suggère par ses lignes le cheminement d’une méditation mnémonique. Celle-ci obéit à un ordre, celui de la ligne organisée, du carré, du cadre, du groupe équilibré de ligne qui fixe et ordonne le temps dans un espace certes éphémère mais maitrisé, quand la ligne isolée et flottante, symbolisée par l’arbre, serait l’indice de la fluctuation, de l’évanouissement, en bref de l’évanescent. Cet ordre n’est possible que s’il est la résultante d’une volonté sans faille, traduite à l’écran par les mouvements de caméra déterminés, dont je parlais précédemment, qui trahissent la démarche d’une pensée mure et affirmé. Ainsi, si la musique donne de l’ordre aux sons, la volonté  donne de l’ordre à la l'esprit, donc à sa marche, sa ligne, dans un effort de ressouvenance.


Car ce court métrage raconte un esprit qui touche à l’automne de ses idées (Baudelaire) d’où la gamme de couleurs automnales, dans des tons pastels, que viennent trancher les couleurs vives et primaires du carré conclusif, moteur de la mémoire. Méditer relève de la projection, de la réflexion profonde et mure, mais également du soin. Or, la mémoire n’est-elle pas et le cataplasme et le catalyseur de la nostalgie et de la mélancolie ? Si l’on suit cette interprétation, Chemin faisant ne serait alors ni plus ni moins que le cheminement labyrinthique, par mouvements métaphoriques, rythmiques et sonores, d’un esprit vers son intériorité ; et cet esprit serait celui de Rousseau comme semble l’indiquer les quelques indice tels que les salons Louis XIV, ou l’habit du discret flutiste. Rêverie en un sens, d’un promeneur solitaire, pour reprendre le titre d’un ouvrage de Rousseau, car la marche est aussi le tracé d’une ligne, aussi spirituelle que physique ; dans le court métrage, la ligne spirituelle, celle qui intéresse le réalisateur, se fait au sein d’un huis clos, ces salons Louis XIV dont nous parlions, manière de traduire les chambres de l’esprit, à travers lesquels l’homme, plus il s’enfonce en leur sein, plus est à même à se saisir dans sa profondeur. La présence dans ces salons, si futiles et évasives, des cinq sens représentés par les symboles corporelles qui leur correspondent n’est là que pour rappeler que les sens sont, dans la philosophie rousseauiste, les vecteurs de l’imagination – l’odorat entre tous. Et quand enfin l’homme, aux tréfonds de sa conscience, touche sa mémoire dans un effort intense pour se souvenir, ce sont les territoires de l’universalité qu’il touche également du bout du doigt et le réalisateur de nous les suggérer au nombre de trois : l’amour, la mort et l’enfance.


Face à la limpidité, à l’écoulement tranquille et régulier du temps, de la mort en ce qu’elle est inscrite dans chacun des gestes écoulés au cours de la vie, n’existe que le remède du fou ou du condamné à mort : la marche infinie, la fuite, imprévisible, non linéaire, mélodie en mouvement du corps dans les paysages.

 

11 juin 2013 | catégories: les comptes rendus ; les interviews

Interview de Richard Van Den Boom

Le détachement spécial de la Croq'Team s'est rendu à la conférence, animée par Alexis Hunot de Zewebanime, au sujet des nouveaux modèles économiques relatif à l'animation. Sont intervenus Richard Van Den Boom de Papy3D Productions et Olivier Chaterin de la maison de production des 3 Ours.



En plus de quelques images de la dite conférence, nous vous proposons un distique de deux interviews consacré au champ de la production animée: la première de Richard Van Den Boom et la seconde, qui sera ajoutée ultérieurement, vous le devinez, d'Olivier Catherin ! De quoi rattraper votre retard si vous n'avez pu vous rendre à la conférence !



Bonne lecture !



Vous avez un parcours tout à fait étonnant. Loin d’avoir eu une passion précoce pour l’animation, vous avez tour à tour fait des études de physique moléculaire, travaillé dans l’informatique puis comme consultant. Qu’est-ce qui vous a amené à vous réorienter vers le cinéma d’animation ?


Pour tout dire, je ne me suis pas vraiment orienté  vers l’animation: c’est un hobby que j’ai toujours pratiqué à côté de mon métier. J’ai découvert le cinéma d’animation grâce à mon épouse, aujourd’hui réalisatrice. Quand nous nous sommes rencontrés il y a 20 ans, l’un de nos premiers rendez-vous fut d’aller à une projection de L’Homme qui Plantait des Arbres de Frédérique Bach. Puis quand elle s’est lancée dans l’animation, après avoir fini ses études aux Arts Déco, je l’ai aidé à la réalisation de son premier court métrage en faisant un peu de compositing …


J’étais et je suis toujours porté sur le cinéma d’Arts & Essais. J’ai vraiment découvert qu’il y avait une production importante de courts métrages d’animation à la fin des années 90. Je profitais, en m’invitant par le biais de mon épouse, des projections de courts métrages qu’organisaient ses professeurs.

Vous dites préférer le cinéma d’Art & Essais. Qu’est-ce qui vous a charmé dans le cinéma d’animation pour que vous vous y intéressiez au point de monter une société de production ?


Il faut dire que je suis plutôt difficile, peu d’œuvres me plaisent vraiment. Je suis intéressé avant tout par un travail sur la lumière et le cadrage, sur la personnalité du sujet et l’œil avec lequel il est vu, au sens de graphisme et de focalisation. Or, il est vrai que j’ai autant de difficulté à trouver des films qui me plaisent en animation qu’en prise de vue réelle. Je n’aime pas l’animation pour l’animation, pour le plaisir pur de donner du mouvement à l’inanimé et d’en jouir. L’animation tombe parfois dans cet écueil et c’est regrettable. Je cherche des objets qui soient personnels, uniques, pas seulement une expérience sensitive comme l’animation peut parfois en réaliser.


Vous définissez par la négative ?


C’est en effet plus facile de définir ce que l’on aime en parlant d’abord de ce que l’on n’aime pas ! (rires)


C’est d’ailleurs tout le problème de Papy3D : nous ne savons pas forcément ce que nous avons envie de produire, mais nous savons très bien, en revanche, ce que nous ne voulons pas produire.


Parlons de Papy3D. Les sociétés de production en animation rivalisent de loufoqueries dans leur prénomination. D’où vient celle de Papy3D ?


(rires) – l’origine est une potacherie postée sur le forum des Fous d’Anim. Frank Dion avait laissé entendre qu’il souhaitait réaliser un film en 3D alors que son premier film, l’Inventaire Fantôme était en stop motion. Quelqu’un lui a dit qu’il voulait faire de la 3D de papy, car on se moquait un peu de sa manière de faire comme s’il était un ancien du milieu (rires). Sinon, avant la création de la maison de production, plusieurs fondateurs appartenaient déjà  à un collectif de réalisateurs qui se prénommait Papy3D réalisation. Lorsque nous avons monté une maison de production, nous avons simplement substitué production à réalisation.



Quel est l’origine de Papy 3D Productions ?



On s’est rencontré via un forum de Fous d’Anim en 2003 à une période ou les réalisateurs d’animation se rencontraient peu et pouvaient passer un an en tête à tête avec leur projet. Forcément, cela implique un recul moindre pour juger de la qualité d’un film. Avoir un lieu où ils ont pu se retrouver et partager leurs expériences a été une délivrance. Pendant longtemps, les réalisateurs de courts se retrouvaient sur Fou d’Anim pour discuter. Par la suite, nous nous sommes rencontré à Annecy, au moment où l’un deux voulait monter un film sans vraiment s’y connaître en montage. Il avait l’envie de monter une structure de production. De fil en aiguille, d’autres se sont greffés au projet avec des motivations différentes. Cependant nous avions tous une envie en commun : Prendre notre destin en main en gérant tous les aspects de la production de nos films.


Au départ, nous étions six, puis nous avons été rejoint en 2006 par Jeremy  Chapin et Pierre Caillet. Plus tard, j’en suis devenu l’administrateur. Il se trouve qu’à la base je suis informaticien, j’avais déjà crée des sociétés et j’avais donc une connaissance de la gestion d’entreprise. Je me présente comme administrateur car je fais ce que les autres ne veulent pas faire ! (rires)


Cette politique de l’auteur dont vous parliez se ressent dans vos productions, qui sont fortement caractérisées par des univers et des visions très fortes et originales. Néanmoins, il semble se dégager de celles-ci une unité artistique, esthétique. Qu’en pensez-vous ?


Je n’ai pas vraiment de recul pour juger, mais je crois, oui. Nous n’avons jamais imposé une ligne éditoriale à nos auteurs et la plupart des actionnaires de Papy3D ne partagent pas les mêmes goûts cinématographiques. Mais comme je le disais, nous savons en revanche ce que nous ne voulons pas produire. Les films d’actions, par exemple. Nous essayons de faire en sorte que nos productions soient porteuses d’une personnalité, d’une vision. Vous avez peut-être remarqué que nous n’aimons pas trop non plus les couleurs criardes et sucrées (rires) ! Tous nos films sont dans des tons assez bruns, pas vraiment drôles d’ailleurs … (rires) ! Nous cherchons aussi à ce que nos productions montrent quelque chose, véhiculent une émotion, un message et pas seulement un exercice virtuose de style, métaphorique …


Pour moi, un bon film doit assurer un équilibre entre la limpidité et la profondeur. Il doit y avoir différents niveaux de lecture et un visuel hautement reconnaissable. Il doit privilégier le cadrage, la lumière, la virtuosité. C’est d’ailleurs le cas de tous les auteurs que nous produisons. Le cadrage correspond au regard de l’auteur : je veux que tu regardes ça comme ça, car ça c’est important. C’est ça le vrai langage cinématographique. Mes peintres préférés sont De la tour, Rembrandt, Vermeer. le travail d’un bon cinéaste doit se rapprocher du leur. L’une des choses que je déteste dans le cinéma français par exemple, c’est cette lumière naturelle, plate et chiante qui n’apporte rien. J’aime les gens qui travaillent leur image, qui construise un langage de la lumière. Tous les réalisateurs que j’aime sont des gens qui orientent le regard.

Dans cette perspective, pourriez-vous nous parler de Monsieur COK, qui sera projeté lors de la seconde édition des Soirées Croq’LaBelle le 19 juin ?

D’un point de vue scénaristique et graphique, Monsieur COK est un court métrage fort. Selon la vision de son réalisateur, Frank Dion, c’est un portrait décalé de l’ancien patron de Vivendi Universal, voire plus généralement des patrons à la tête de leurs empires, qui deviennent mégalomanes à force de gérer de telles structures. Détail amusant s’il s’en faut, le film est sorti en 2008, au même moment que la crise des subprimes.

Ce court-métrage est aussi un hommage aux luttes que la famille de Franck a menées, au nom du communisme. Ce film transmet  un message très fort, ses interprétations multiples, au point que l’on a pu nous accuser de faire l’apologie du terrorisme !

Pouvez-vous nous parlez des autres films programmés ? Selon vos propres mots, la programmation des Soirées Croq’LaBelle du 19 juin sera ryhmée par six films qui ont jalonnée votre immersion dans le monde de l’animation, depuis votre première visite au festival d’Annecy jusqu’à vos dernières productions.


Ca n’a pas été facile (rires) ! Je me suis demandé quel avait été mon parcours dans l’animation d’un point de vue chronologique.
Au bout du monde est l’un des films que j’associe au souvenir de ma première visite à Annecy, en 2000, où il avait été diffusé dans le cadre d’un programme spécial. Bien que je ne l’aurais probablement pas produit, le ton de ce film m’a marqué. Il me faisait penser au Génie des Alpages, cette bande dessinée aberrante à l’humour absurde dont je suis fan depuis mon plus jeune âge.


Fable est un court métrage dont je garde un souvenir très fort, je l’ai vu à Annecy en 2006. Ce film m’a donné envie de me lancer dans la production. Je le trouve magnifique en tout point : son graphisme, son ambiance sonore, le mystère qu’il dégage … Je ne trouve pas que ce soit un film abscons, comme on a pu lui reprocher, bien qu’il appelle certainement à une forme de réflexion. C’est ce que j’aime, je suis un peu un ruminant du cinéma (rires) : j’aime les films qui me résiste, que je dois remâcher longtemps après leur visionnage. Pour qu’un film me séduise, il faut qu’il me hante. Enfin, Fable est de la même année que Papy3D. Pour l’anecdote, son réalisateur a un film sélectionné à Annecy  cette année: Ferral.


Les autres courts métrages au programme sont tous des productions de Papy3D. Monsieur COK est notre premier film, je me devais donc de le mettre ainsi que la Femme Squelette, premier film de ma femme. Il est très librement inspiré du conte inouï éponyme ; il montre comment une femme engluée dans son quotidien se trouve métaphoriquement dans une situation analogue à celle de la Femme Squelette.


Lovepapate est notre troisième film. J’ai tenu à  le présenter car j’ai mis du temps à me réconcilier avec lui. Il faut pourtant dire qu’il avait été sélectionné à Cannes, en 2013, lors de la semaine de la critique. C’est précisément à Cannes, quand je l’ai revu, que j’ai réalisé que c’était un vrai film d’auteur, que personne d’autre que ne pouvait réaliser une telle œuvre. C’est  d’ailleurs pour cela que je suis si heureux de ne pas prendre les décisions seul.


Comment décidez-vous ?


De façon collégiale : les huit actionnaires ensemble. En revanche, le vote n’a pas besoin d’être unanime, il faut simplement qu’il y ait une majorité de producteurs et que les autres ne soient pas entièrement contres.


Et Palmipedarium, pouvez-vous nous en parler ?


Oui. Il fallait montrer un film de notre cru 2012 (rires) ! J’ai donc choisi Palmipedarium car il est cette année en compétition à Annecy. Si je l’ai préféré à nos autres productions, c’est parce qu’il est plus court et que je manquais de temps. Encore une fois, c’est un vrai film d’auteur, le visuel est particulièrement radical. Pour l’anecdote, quand le film est arrivé au stade de la production, le réalisateur s’est longtemps demandé ce qui l’avait incité à le réaliser en 3D. C’est pourquoi la 3D de son court métrage est si étrange, avec des mouvements de caméra à n’en plus finir, d’une grande justesse. Et je ne parle pas du traitement sonore …

Dans tous les films, l’ambiance sonore semble importante ?


En effet. Selon moi, le son est la véritable 3D du cinéma. L’immersion est liée à l’ambiance sonore qui vous entoure. Elle donne du volume à l’image. Lors du processus de réalisation, il peut arriver que nous ayons une sorte de ras le bol des images, mais le jour du montage,  lorsque le son accompagne l’image, c’est toujours un bonheur: le film gagne en puissance et nous le redécouvrons. C’est pourquoi à Papy3D, nous allouons toujours un poste budgétaire très important au  travail sonore. 


Faites-vous appel à des compositeurs, des ensembles d’orchestres ou des musiciens professionnels ?


C’est au réalisateur d’en faire le choix. La majeure partie des musiques que vous pouvez entendre dans nos films sont composées par Pierre Caillet, l’un des actionnaires de Papy3D, bien que ce ne soit pas une règle. C’est un compositeur de talent, qui sait s’adapter en fonction des univers : Il a notamment mis en musique les films de Franck Dion, ou encore la Femme Squelette.
Pour Palmipedarium et la Patate, en revanche, les réalisateurs ont fait appel à des amis.


Il arrive que la musique, sur certains projets, soit composée par ordinateur, auquel cas nous faisons également appel à des musiciens pour jouer des partitions spécifiques afin d’obtenir une texture sonore de qualité. Dans le cas d’Edmond était un Âne, nous avons recruté un ensemble orchestral complet, le Quator Modigliani. Ces artistes auraient pu exiger une rémunération plus importante que celle qui leur a été faite, mais ce ne fut pas le cas. Ils ont participé car le projet les intéressait réellement. Le milieu du court métrage a cette qualité de ne pas être encore trop commerciale.


La production du court métrage est-elle un choix artistique ou économique ?


En animation, le choix de faire ou non du court métrage est plutôt artistique. Un court métrage d’animation est loin d’être économique : un budget minimum tourne aux alentours de 80 000 à 100 000 euros pour un court de 6 à 7 minutes. Un court métrage requiert également des subventions, une équipe complète engagée à plein temps…


Comparé au long métrage, quelles qualités, selon toi, présente le format du court métrage pour un réalisateur ?



Le court métrage est fort quand il est dense. Pour moi, la mode qui consiste à faire des courts métrages de 45 minutes est un contresens. De façon générale, les personnes à l’origine de ces projets désirent simplement réaliser un long métrage avec un budget de court-métrage. La plupart du temps, les réalisations qui en résultent sont trop verbeuses.


Voulez-vous dire que le court métrage supporte un traitement restreint de la parole ?


Non, pas vraiment,  je dirai plutôt qu’il nécessite une vraie densité : dire peu de chose dans un temps réduit, jusqu’à 15 à 20 minutes.  Beaucoup de gens pensent que l’animation devrait être muette, exclusivement métaphorique. Je ne suis pas d’accord, le verbe a son sens : ajouter une voix off, des dialogues, ça donne aussi du sens à une œuvre.  Il y a également un désir d’être significatif.


C ‘est ce que j’aime dans le court: cette densité qu’on prend dans la figure ! Un court fait passer énormément de choses, on a envie de revoir tout ça, pour pouvoir « ruminer »  ensuite (rires) ! C’est pourquoi il est important d’employer, en format court, un langage cinématographique qui dit beaucoup de chose en peu de temps.


Quelles sont les qualités requises pour être un bon producteur ? Y-a-t-il des visions du bon producteur au même titre qu’un réalisateur ?
 

Il y a beaucoup de visions différentes. Pour moi, un producteur ne doit pas chercher à s’imposer, il doit accompagner les auteurs le mieux possible pour qu’ils puissent s’épanouir et arriver à finaliser leurs œuvres. L’accompagnement se fait aussi bien en amont, dans la réflexion sur leur projet, que pendant la production,  où l’on doit être disponible pour leur assurer un environnement de production confortable. Il y a un travail en aval également, pour soutenir et défendre leurs œuvres.


Dans toute production, les réalisateurs connaissent un moment de déprime, d’incertitude par rapport à la qualité de son film. Ils ont besoin d’en parler. Souvent, une fois que le film fini, il ne correspond pas à leurs attentes. C’est alors à nous de le porter, de faire en sorte qu’il soit vu.


En France, globalement, la plupart des producteurs ont tendance à essayer de bien porter leurs auteurs.


Pourquoi avez-vous accepté l’invitation de Croq’Anime ?


J’accepte toutes les invitations, j’estime que c’est le minimum du respect  que de répondre aux demandes des personnes qui se donnent du mal pour organiser des évènements mettant en valeur l’animation. Ils jouent un rôle important dans la diffusion des films. 
Je ne cherche pas à me mettre en avant par rapport à Papy3D. Je préfère qu’on parle des auteurs plutôt que de ma personne... Si j’ai accepté de faire une section pour la projection Croq’ La Belle, c’est parce que la tâche n’était pas trop ardue !


Papy3D a été fondé par un collectif de réalisateur. Cela implique une certaine spécificité car les réalisateurs sont  aussi auteurs exécutifs. Quels en sont les avantages ?


J’ignore si cela est si spécifique. Nous, nous l’affichons mais peut-être que d’autres le font aussi. Globalement, chez Papy 3D, un réalisateur décide de tout en terme de production : Avec qui il travaille, à quel endroit et dans quelles conditions. On discute aussi ensemble des postes budgétaires. Le réalisateur accompagne vraiment le film de bout en bout : Il choisit son compositeur, son ingénieur du son …


Sa liberté artistique est préservée, il utilise les moyens de production de manière complètement libre. La seule condition étant que le budget prévu soit respecté. Chez nous, les réalisateurs connaissent le budget de leur film et savent combien leurs collaborateurs sont rémunérés. Ce n’est pas forcément le cas dans toutes les productions.


Pourquoi cette méthode ne se généralise pas ?


Parce que ce n’est pas aussi évident que ça semble l’être. Certains réalisateurs ne veulent pas endosser cette responsabilité. Ils veulent se concentrer sur leur film sans s’occuper du reste. D’autres n’arrivent pas à gérer ces différents rôles: ils ne savent pas être raisonnables et ont donc besoin d’être réellement entourés.  De plus, si le budget n’est pas suffisant, finir un film nous met dans une situation très désagréable. En cela, notre modèle n’est pas valable pour tout le monde : c’est une démarche qui doit être volontaire.


Est-ce une façon de responsabilité l’auteur ?


Oui, ou du moins cela peut aider ceux qui veulent le devenir. Ce n’est pas pour rien qu’il existe plusieurs sociétés de production …


Quel rôle joue le CNC dans la production de l’animation ?


Le CNC apporte une contribution financière importante : il participe à hauteur de 50%, voire 70% dans le financement d’un film. Le reste étant financé par les régions, les pré-achats  des chaines de télévision ou d’autres aides. Le court-métrage a une carrière commerciale très restreinte : Généralement, les ventes réalisées représentent à peine 10% du budget qu’on lui a consacré.


On observe une tendance à l’internationalisation dans le domaine de la production animée, voire dans la production cinématographique en général. De quel œil voyez-vous, à Papy3D, ce phénomène ?



Jusqu’à l’année dernière, j’aurais pu dire que j’étais dubitatif. Il s’avère qu’on a fait une coproduction avec l’ONF (Canada) pour le film Edmond était un âne .Tout le travail sonore a été fait là bas. Budgétairement parlant, ça n’était pas forcément nécessaire mais on s‘est dit que c’était une belle expérience que d’aller au Canada travailler avec eux. Ca a été un succès et on pense d’ailleurs le refaire pour un de nos futurs projets. S’agissant d’un court-métrage, travailler en coproduction est difficile: Un auteur doit maitriser à fond les choses car la réalisation se fait sur 2 ou 3 sites distincts. La plupart du temps c’est une vraie galère ! On ne cherche pas forcément à encourager cela.


Même si au début, j’étais vraiment réticent, l’ONF nous a apporté un vrai plus au niveau de la visibilité et de la distribution. Par ailleurs, ça a été une très belle expérience humaine.  Et pourtant, en animation, il est dur de travailler avec de nouvelles personnes.  Même lorsque l’on se rend compte qu’ils ne font pas l’affaire, l’argent est déjà sur la table et on est donc obligé d’aller plus loin.

La France est le premier producteur d’animation en Europe et le troisième au niveau mondial (source CNC). Au regard de votre expérience, comment définiriez-vous cette production ? La quantité empiète-t-elle sur la qualité ?



En terme de volume, c’est grâce aux séries télévisées qu’on est le troisième producteur, or celles-ci ne sont pas extraordinaires.  Pour le court métrage c’est différent, il y beaucoup de produits et la qualité est souvent au rendez-vous. D’un point de vue cinématographique,  cela tient au fait que les réseaux de financement sont élaborés.  Au festival d’Annecy, la France est d’ailleurs très représentée dans cette catégorie.


Comment expliquez-vous cette qualité ?


Tout d’abord, Il y a une réelle possibilité de monter des courts en France. Les financements et les aides permettent d’entretenir un écosystème d’animateurs, d’artisans. En plus de cela, il y a un réseau important d’école, permettant de pérenniser cette volonté d’avoir une production d’auteur sur les courts. En revanche, aux Etats-Unis par exemple, malgré la puissance commerciale d’Hollywood, c’est encore très difficile de monter du cinéma d’animation. Il faut postuler à des bourses de certains organismes, souvent dures à obtenir.


Papy3D fait partie du collectif des producteurs de courts-métrages d’animation, crée en 2007 à Annecy et qui regroupe la quasi-totalité des producteurs français de ce secteur. Depuis sa création,  le Collectif a permis entre autre une réévaluation des montants d'aide du CNC et la nomination d'un expert au sein des commissions de CNC. Qui fut à l’initiative de ce collectif et pourquoi ?


A l’origine, ce collectif a été vraiment initié par Arnaud des Films du Nord, très militant et très actif.  Nous l’avons directement intégré parce que ça nous paraissait aller de soi. Si on fait une société de production, c’est pour être de véritables acteurs de ce système.  Nous voulions faire partie des discussions et l’action de ce collectif a été positive en ce sens. Globalement, cela a permis d’établir  plus de dialogue entre les producteurs.


Au delà de l’aspect revendicatif des institutions, j’ai pu élargir ma liste de contacts. En ce moment, on essaie de monter un projet dans la ville de Valence, en région Rhône Alpes. le fait de connaître les gens de Folimage et de la région, ça nous aide énormément. Nos objectifs sont relativement proches.


Quand on ne connait pas les autres, on peut facilement leur plaquer des clichés sur le dos mais une fois le dialogue engagé, on s’ouvre, on comprend que chacun a sa manière de travailler et qu’on doit la respecter. On apprend à relativiser. Ca a été assez formateur pour moi.


Quels sont vos projets futurs, à Papy 3D Productions ?


On a deux projets dont on commence la production en fin d’année. Un projet mené par mon épouse et le premier projet d’une réalisatrice hors fondateur. Elle a fait l ‘école de la Poudrière. C’est là qu’elle a rencontré Jeremy. Ce dernier nous a présenté son projet, il nous a plu et on a donc accepté de le produire. Nous avons du nous adapter : jusqu’ici on avait surtout travaillé avec des réalisateurs expérimentés, sur de ce qu’ils voulaient. Dans ce cas précis, on est tombé sur une réalisatrice de 25 ans qui avait beaucoup de qualités, mais dont le projet devait être retravaillé. On s’est retrouvé dans une situation un peu inconfortable car on ne voulait pas la pousser à faire un film qui correspondait à sa vision. Finalement, le projet  a obtenu l’aide du CNC, de la télé et de la région Rhône Alpes.


Je  ne parlerai pas trop du film de ma femme pour ne pas déflorer la surprise (rires) ! Je dirai juste que c’est un projet assez réaliste. Sarah a voulu faire appel à des gens qui donnent chacun leur opinion sur un sujet commun.  A la base, on était parti sur une idée de documentaire animée. Finalement, c’est plutôt un film de fiction qui se base sur une recherche documentaire.  On a eu beaucoup de mal à le faire accepter auprès des institutions de financement car il le trouvait trop réaliste, pas assez métaphorique, trop linéaire. On nous a demandé pourquoi on le faisait en animation, par exemple ! Sauf que voilà, c’est le medium que préfère Sarah, par conséquent, la question ne se posait pas.


J’ai l’impression que la majorité des gens qui font du cinéma ne connaissent rien au cinéma d’animation, ils ignorent même l’existence d’un cinéma d’animation d’auteur. Généralement, ces personnes là connaissent le long métrage sans connaître aussi le court.


Comment as-tu connu Croq’Anime ?


J’ai rencontré  Sylvie aux Apéros Animés qui se déroulent tous les premiers mercredis du mois. Les passionné d’animation s’y rencontrent et discutent : amateurs, réalisateurs, producteurs. On avait envie de mettre en place un moment informel et convivial où les gens puissent se retrouver librement. Les apéros se déroulent toujours au même endroit : Dans le haut Paris, rue des Envierges dans le 19ème métro Pyrénées. C’est le premier mercredi de chaque mois. A partir de 19h30 et jusqu’à minuit et demi en moyenne.


Un message pour l’équipe de Croq’Anime ?


J’ai beaucoup de respect pour les gens qui font les choses par passion. Je sais que ça demande beaucoup d’énergie sur la durée. Il est facile d’organiser un événement de temps en temps mais tenir un projet année après année, c’est un investissement considérable et méritoire, avec ses hauts et ses bas. Les gens qui ont la volonté de tenir ça années après années ont beaucoup de mérite. Il n’y a pas beaucoup d’initiative d’animation à Paris même. Je souhaite que cette initiative marche bien et j’espère qu’elle deviendra un jour un rendez-vous incontournable.


Un court métrage que vous souhaiteriez partager ?


Il y a ce film dont je vous parlais, L’homme qui plantait des arbres même s'il n’est pas forcément l’œuvre la plus représentative de mes attentes en termes d’animation. Je citerais davantage le court métrage de Youri Norstein qui illustre un haïku dans le cadre du long métrage Jours d’Hiver et met en scène un petit moine qui court dans la nature. J’en garde un incroyable souvenir de jubilation (rires) !


Ce petit film, avec cette animation très délicate et tout le charme qui se dégage de cette nature, de ce petit moine qui court dans les feuilles mortes. J’aime ce type d’animation dont il émane une personnalité incontestable et touchante, sans être m’as-tu-vu et une belle poésie. Il ne fait pas appel à des ficelles, c’est frais, court et spontané. Il arrive à suggérer cette impression de nature en un temps très bref. Je trouve ça fort ! J’adore Youri Norstein, chez lui, il y a une subtilité dans ce qu’exprime l’animation : dans ses personnages, dans sa vision du monde.

11 juin 2013 | catégories: les micro-trottoirs

Paroles de Festivaliers - Héloïse, Antoine et tahissia

Tout le long de la semaine, notre équipe détachée sur les lieues du festival d'Annecy réalisera des micro-trottoirs très courts, à chaud, de festivaliers. Qu'ils soient des vétérans centenaires du festival, des néophytes effarouchés de l'animation ou encore des restaurateurs, des bénévoles, des producteurs, bref tout le beau monde qui peut composer le creuset d'un festival, leurs paroles vous seront régulièrement rapportées ici même, sur les Carnets !

Si vous n'avez pas la chance d'assister au festival, c'est un bon moyen pour prendre la température et si, au contraire, vous faites parties des quelques milliers de chanceux à vivre cette folie, ce que nous vous souhaitons, c'est toujours un moyen de savoir ce que pense les autres de l'expérience que vous vivez. Et qui sait, peut-être les croiserez vous au détour d'une salle obscure !

Héloïse - première expérience

Antoine & Tahissia de chez Ubisoft Annecy

Arrivée en fanfare ! - Jour J

10 juin 2013 | catégories: les photos

 







 

Jour J des photographies de la Croq'Team à la plus grande manifestation mondiale du cinéma d'animation.

Feu sur le Festival !

10 juin 2013 | catégories: les articles

Le Festival Internationnal du Film d'Animation d'Annecy a ouvert les attractions de sa 37ème édition en ce lundi 10 juin 2013. Afin d'inaugurer les festivités, la Croq'Team vous invite à vous préparer aux projections à venir avec, d'une part, deux articles critiques de deux courts métrages sélectionnés en compétitions à Annecy: Kiki et les Montparnos et Betty's Blues et, d'autre part, l'interview de Marcel Jean, le nouveau directeur artistique du Festival, qui vous donnera une compréhension plus globale des enjeux de cette 36ème édition !



Cliquez sur le portrait qui vous intéresse ! Et bonne lecture ! 







 

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