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Entrevue avec Alexis Hunot 

 12 août 2013 | Alexis Rosier, Paul Bourel et Bérénice Dormann

Alexis Hunot est un passionné et un activiste du cinéma d'animation.

 

Et cela se remarque car il multiplie les casquettes : il tient à jour un blog (Zewebanim) ou il donne sa vision de l'animation en partageant ses principaux coups de coeur.

Il a écrit, fut un temps, dans le magazine Storyboard. 

Il possède sa propre émission de radio sur Radio Libertaire appelée "Bulles de rêve", dédiée au cinéma d'animation.

Alexis parle d'animation dès qu'il le peut via des conférences et en donnant des cours car il est aussi professeur d'histoire du cinéma et d'analyse filmique. 

 

Durant cette interview, Alexis nous livre son long et intéressant point de vue sur le court métrage plein de rire et de bonnes références !

 

 

Bonne lecture !

 

 

 

 

 

 

 

 

Peux-tu me citer le court-métrage qui t’a marqué cette année au festival d’Annecy ?

 

Cette année, il y a un film que j’ai particulièrement adoré, c’est Palmipedarium de Jérémy Clapin. Je trouve qu’il y a une proposition cinématographique différente dans ce film avec une sensibilité, une lenteur dans la réalisation. Ce format privilégie la narration au travers d’images fortes, Jérémy Clapin avait suivi cette logique dans son précédent court métrage, Skhizein. Avec Palmipedarium, il va complètement à l’opposé et je trouve ça assez fort ! Ce film nécessite d’être vu plusieurs fois car il transmet sans appuyer. Il joue sur le symbole mais en pointillé, c'est ce qui me plait. Il laisse une grande place à l'interpréation. Plusieurs courts métrages le font mais Palmipedarium le fait très bien, je trouve !

 

Et ton court-métrage fétiche ?

 

C’est trop facile ! Je vais juste prendre le court-métrage  qui m’a ouvert au cinéma d’animation, Les possibilités du dialogue de Jan Svankmajer, que j’avais d’ailleurs montré lors d’une conférence à Croq’Anime justement. Grâce à ce film, j’ai compris les possibilités et la force du cinéma d’animation : pouvoir mettre en scène un couple qui fait l’amour, qui a un enfant et qui se déchire autour de cet enfant. Le tout en 3 minutes ! Il n’y a qu’en animation qu’on peut voir et faire des choses pareilles.

 

Montrer des choses que le cinéma en prise de vue réelle ne peut pas montrer, c’est la seule force du cinéma d’animation ? 

 

Non, il y aussi le fait que le message est transmis en un laps de temps très court. C’est tout le contraire de Palmipedarium où l’histoire est assez « étalée ». 

Tu parles de « proposition cinématographique », qu’entends-tu exactement par là ?

 

Je pense qu’on arrive à un moment charnière pour le cinéma d’animation. Je parlerai presque de révolution. De plus en plus de gens s’intéressent à l’animation. Il y a aujourd’hui plusieurs sites internet qui y sont entièrement consacrés, dont le mien (Zewebanim). Il y a aussi Catsuka ou Foudanim. Ces sites existent depuis 11 ou 12 ans mais on en parle beaucoup plus aujourd’hui. A l’heure actuelle, on assiste à une vraie métamorphose couplée à une nouvelle réflexion sur ce que peut apporter l’animation. Si je parle de proposition cinématographique, c’est que l’animation propose aujourd’hui une multitude de modes de narration allant de choses très abstraites et expérimentales à des narrations beaucoup plus « classiques ». Je n’irai pas jusqu’à comparer Palmipedarium à du Bergman ou à du Tarkovsky mais on a la chance d’avoir en animation des personnes qui développent des sensibilités très spécifiques : Norstein, Jan Svankmajer…

Pour résumer, l'idée est qu'aujourd'hui le cinéma d'animation s'ouvre à d'autres possibilités de mise en scène et narratives, même s'il ne faut pas oublier ceux propres à l'animation car il y a beaucoup à creuser là-dedans aussi.

 

Comment définirais-tu ce nouveau terrain de jeux exploré par l’animation ? Est-ce que c’est quelque chose qui se situe en dessous de l’image ?

 

Dans Palmipedarium, Jérémy Clapin utilise un principe qui a déjà été beaucoup utilisé en prise de vue réelle et peu en animation : laisser le temps aux images, laisser le temps aux spectateurs. Pendant longtemps, les films d’animation et les courts métrages en particulier, étaient muets. Raoul Servais, grand réalisateur d’animation belge, disait à Format Court, « si je peux me passer de dialogues, c’est mieux ». Le film de Jérémy Clapin est muet également mais il est tellement plein de réflexion que l’on peut nous-mêmes imaginer les dialogues. Ce film ouvre la technique de l’animation a plein de - et de - réflexions différentes.

 

Selon toi, ce film est un point de jonction, un hybride entre prise de vue réelle et animation ?

 

Je dirai qu’il en fait partie oui mais ce n’est pas LE point de jonction. Au même titre que Kiki et les Montparnos, il ouvre le champ d’expérimentation de l’animation. Ils servent à élargir le champ de narration du genre.

Ce n’est pas sa seule force mais elle en fait partie. L’animation permet également de jouer sur le côté symbolique de façon beaucoup plus marquée.

 

Montrer des choses que le cinéma en prise de vue réelle ne peut pas montrer, c’est la seule force du cinéma d’animation selon toi ?

 

Non, il y aussi le fait que le message est transmis en un laps de temps très court. C’est tout le contraire de Palmipedarium où l’histoire est assez « étalée ». Ce n’est pas sa seule force mais elle en fait partie. L’animation permet également de jouer sur le côté symbolique de façon beaucoup plus marquée.

 

Justement, Moi, moche et méchant 2, sorti récemment, a rencontré un franc succès avec plus d’1 million d’entrées, est ce que ce genre de succès, très médiatique et commercial, sert l’animation ?

 

C’est très intéressant et très compliqué. Je suis en train d’écrire un article là-dessus parce que c’est la grande question du moment. Je parlais de révolution tout à l’heure : aux Etats-Unis, cela fait un mois que des films d’animation sont en tête du box-office. Il y a d’abord eu Monstres Academy et Moi moche et méchant 2 aujourd’hui. Ce film a battu Pacific Rim de Del Toro, ce n’est pas rien ! D’un côté, je dirais que ça sert l’animation dans le sens ou des films de ce type contribuent à mettre en lumière le genre, la technique ; d’un autre côté, ça la desserre car on reste toujours dans le même champ : celui du cartoon et de la distraction pour enfant même si les adultes peuvent aimer… D’un certain côté, ça enferme l’animation dans une case. 

 

Quel a été ton premier contact avec le cinéma d’animation d’auteur ?

 

J’ai eu beaucoup de chance. A l’époque, je faisais des études en prise de vue réelle à Paris 8 et mon oncle était directeur du festival d’Annecy en 1987. Je ne connaissais encore rien à l’animation (rires) je suis clairement allé à Annecy en touriste ! Le vrai choc a été le court métrage de Jan Svankmajer que j’ai cité tout à l’heure. Mon père est peintre et ma passion est le cinéma, depuis très longtemps. Et voir les deux univers réunis à l’écran a été une réelle révélation pour moi. Ensuite j’ai eu la chance de rencontrer Frédéric Back (L’homme qui plantait des arbres NDLR) et de lui dire combien j’admirais son travail. Il me regarde et me dit « non, c’est moi qui vous remercie d’aimer ce que je fais. » Lorsque j’ai commencé à travailler dans des revues ou des magazines spécialisés, je me suis rendu compte que j’allais leur rendre ce qu’ils m’avaient donné au travers de leurs films.

 

Tu as parlé d’un changement dans le cinéma d’animation, tu dis que c’est pire que l’industrie du cinéma en prise de vue réelle ?

 

Quand une industrie assume son statut d’industrie, au moins elle est claire : elle n’est pas là pour faire de l’art mais pour faire de l’argent. J’aime beaucoup del Toro mais quand il réalise Pacific Rim, il est plus dans l’amusement qu’autre chose, idem pour Moi, moche et méchant 2. Ils ont un gros blockbuster en espérant qu’il va y avoir beaucoup d’argent à la clé. Je vais être plus clair : le cinéma qu’ils font coûte cher et ils sont donc obligés de faire de l’argent pour que ça marche. Si la production d’un film a coûté un peu plus de 75 millions de dollars de ce fait il doit être impérativement rentable. Si les gens peuvent combiner qualité et rentabilité, c’est parfait ! Pendant longtemps, les gens de l’animation travaillaient chacun dans leur coin. La plus grosse exposition qu’ils pouvaient espérer c’était que leur film soit diffusé au festival d’Annecy. Aujourd’hui, ils savent qu’ils peuvent être présents à des festivals comme Venise ou Berlin. La seule chose embêtante, c’est que ces festivals demandent l’exclusivité : si un court métrage est passé ailleurs, il ne pourra pas être sélectionné. Un film peut être bloqué un an à cause de ça. Je trouve ça dommage qu’on reprenne les règles de la prise de vue réelle. Ces règles ne sont pas les nôtres.

Est-ce que tu vois quand même un point positif dans l’influence que peut avoir le cinéma en prise de vue réelle sur le cinéma d’animation ?

 

Je ne sais pas si on peut réellement parler d’influence de la prise de vue réelle. Je pense que c’est positif que les gens de l’animation puissent aspirer à ce que leurs films bénéficient d’un rayonnement plus important, allant au-delà du milieu de l’animation. Les réalisateurs peuvent en avoir marre de toujours entendre parler de l’aspect technique de leur œuvre. Après je ne vais parler que des amis, Gilles Cuvelier, Franck Dion…. Je sais que Papy 3D a été invité par Croq’Anime donc je fais exprès (rires) Le fait que leurs films bénéficient d’une plus grande exposition est très positif car ils peuvent parler d’autre chose que de la technique. 

 

D’un point de vue technique et esthétique, que peut apprendre le cinéma de prise de vue réelle de l’animation et inversement ?

 

Ce que peut apprendre la prise de vue réelle à l’anime, c’est la liberté, plus de spontanéité. Ce que peut apprendre l’animation à la prise de vue réelle, c’est la méthode, la rigueur.  Ce côté minutieux de l’animation peut apporter beaucoup à la prise de vue réelle. D’ailleurs, je pense qu’il va y avoir de plus en plus d’auteurs d’animation qui vont se lancer dans la prise de vue réelle et vice et versa.

 

Dirais-tu qu’un film comme Drive, extrêmement léché, avec des plans très minutieux, tend d’une certaine façon vers l’animation ?

 

C’est intéressant ! Je dirai plus que Drive reflète l’acceptation d’une cinématographie différente. On a longtemps été très européo- centré. Ce film est plus dans une sorte d’attente, perméable à une autre culture. Je donne des cours d’analyse filmique et il est vrai que les codes au travers desquels on étudie un film restent aussi très européo-centrés : lorsqu’on veut analyser un film asiatique par exemple, on cherche souvent à y appliquer ces codes. Ça ne fonctionne pas évidemment. C’est une très bonne question en tout cas : est-ce que l’acceptation d’un cinéma en prise de vue réelle qui soit plus lent, qui prend plus son temps renvoie à l’animation ? Cela implique de retourner aux racines mêmes du cinéma, à ce qui se faisait dans les années 20 ou dans les années 30, le film L’homme à la caméra de Vertov par exemple. Qu’est-ce qu’un cinéma qui ne prendrait pas en compte la littérature pour le scénario ou le théâtre pour les acteurs ?

 

Tu veux dire un cinéma méta-filmique ?

 

Oui en quelque sorte. Ce n’est pas évident… Aujourd’hui, pour caricaturer, on a un vrai grand style de cinéma qui est souvent narratif en prise de vue réelle. On a un courant de cinéma narratif prépondérant avec ces codes, mais heureusement il y a plein d’autres pistes cinématographiques et de nombreux/ses créateurs/trices les empruntent, ils sont juste un peu (beaucoup) moins vu et regardés.

 

On parle de plus en plus de l’influence des comics, de la culture graphique et des plans de bandes dessinées sur le cinéma, qu’en penses-tu ?

 

C’est vrai, mais cela concerne surtout la BD européenne. Dans certains mangas, le découpage d’un mouvement peut prendre une ou deux pages, on est plus dans une sorte de « lenteur ». Aujourd’hui, on confond un peu les choses, lorsqu’on dit que les comics influencent le cinéma, on sous-entend un côté speed.

 

Je ne pensais pas à la rapidité mais plutôt à la photographie. Le dessin est une composition pensée au millimètre. La prise de vue réelle doit faire avec une nature qui est inamovible, certains réalisateurs essaient justement de la penser au millimètre près, sublimer chaque plan.

 

Il n’y a pas que les comics, je pense que la peinture a aussi eu une certaine influence sur certains réalisateurs. Aussi bien des œuvres classiques, Rembrandt, Raphaël, que des choses plus récentes, Monet et le courant impressionniste. D’autre part, les auteurs ont aujourd’hui la possibilité d’ajouter des effets spéciaux à posteriori. Les possibilités techniques sont beaucoup plus vastes qu’auparavant.

Tu as rapidement parlé du manga. Quelles sont les grandes différences entre la culture graphique asiatique et la culture graphique occidentale ?

 

(rires) C’est le genre de question qui demanderait une interview complète ou une conférence avec des experts ! C’est très dur de synthétiser car parler de culture asiatique, ça ne veut rien dire. Pour schématiser encore une fois, je dirai que les asiatiques ont moins peur du vide dans leurs dessins. Il y a beaucoup d’espace dans leurs illustrations car les asiatiques partent du principe que la nature est tellement belle comme elle est qu’ils ne vont pas la reproduire mais essayer de la réinterpréter. En occident, on va essayer d’aller au plus « réaliste » ou au plus « lyrique ». C’est comme comparer les Haikus à la poésie occidentale.

 

Pour revenir à la peinture, quel réalisateur en animation se rapproche le plus selon toi du mouvement impressionniste ?

 

Je pourrai te répondre : « Facile, Frédéric Back ». Dans L’homme qui plantait des arbres ou Le fleuve aux grandes eaux, la nature est omniprésente et le ressenti de l’auteur par rapport à celle-ci est extrêmement palpable. Mais je ne sais pas si on peut réellement parler d’impressionnisme. Ce mouvement est chargé d’histoire, il est le fruit d’une longue évolution. Le cinéma d’animation n’en est pas encore à ce stade. En prise de vue réelle, il y a eu énormément d’expérimentation dans l’entre deux guerres. Beaucoup d’entre elles ont été rapidement abandonnées et rapidement, un courant cinématographique classique s’est imposé. J’ai l’impression que le cinéma a évolué un peu à l’inverse des autres arts.

 

A Annecy cette année, le cristal du long métrage a été décerné à un réalisateur brésilien, Luiz Bolognesi pour son film Uma historia de mor e fùria. Est-on en train d’assister à l’émergence de nouveaux pays  dans le cinéma d’animation ?

 

Oui cela me semble évident. Ces pays émergents économiquement étaient déjà présents dans le monde du court-métrage mais depuis 5-6 ans maintenant, ils arrivent également sur la scène du long. Personnellement, je n’ai pas trouvé ce film très intéressant d’un point de vue graphique mais c’est un long métrage avec une esthétique très classique qui s’adresse exclusivement à un public ado ou adulte et c’est plutôt rare.

Pour continuer sur ce sujet, le dernier film d’Ari Folman, Le congrès a plutôt reçu un bon accueil auprès de la presse et du public. Quelle est ta critique personnelle ? Est-il représentatif d’un certain stade de l’animation aujourd’hui ? Je pense en particulier à l’hybridité animation-prise de vue réelle ?

 

Je n’ai pas du tout aimé ce film. Je trouve d’ailleurs intéressant que certains magazines qui ne se sont jamais intéressés à l’animation en aient fait une critique. En animation, il n’y a pas vraiment de critiques. Pour revenir sur le film en lui-même, le message véhiculé est : la virtualité peut vite dégénérer en quelque chose de très mauvais. Personnellement, je pense que la virtualité peut nous apporter énormément. Être interviewé par un personnage virtuel dans quelques années ne m’effraie pas plus que ça (rires)  Il y a une sorte de phobie du virtuel que je ne comprends pas…

Aujourd’hui, le nouvel art iconographique est la publicité et la culture de masse, l’image n’est qu’aux prémices de son apogée. Logorama dépeignait avec brio cette réalité. On voit d’ailleurs de plus en plus de publicités employer l’animation. Quelle sera la place de l’animation dans le futur ?

 

Cela fait longtemps qu’on trouve de l’animation dans la publicité. Les aventures du prince Ahmed est le premier vrai long-métrage d’animation par rapport à Blanche-Neige. Il est sorti en 1926 et sa réalisatrice, Lotte Reininger, faisait déjà de la publicité pour Nivea… Je pense que le monde de demain se rapprochera des univers de Philip K.Dick (romancier de Blade runner et Total recall). Je suis sûr que l’animation va servir à développer nos vies et aura une réelle influence dans le futur !

 

L’animation est de loin le seul art qui donne l’opportunité d’insuffler de la vie à une chose inanimée. L’animation est-elle un art de la résurrection ?

 

Ta question me fait penser à une récente pub dans laquelle Bruce Lee est ressuscité, j’ai presque cru à son retour (rires) on va vers du photo-réalisme. Pour aller plus loin, je pense que le cinéma et même l’art en général permet ce retour permanent. Un auteur laisse une trace immortelle, les poèmes de Rimbaud n’ont jamais été autant d’actualité !

 

Oui mais en animation il y a une matérialité…

 

Oui mais en même temps ce n’est pas la réalité. On est dans du numérique. Si on décide d’inclure le numérique dans la réalité, alors on change de dimension. Quand les studios Pixar décident d’animer chaque brin d’herbe, je trouve ça inutile. Au lieu de transformer la réalité, d’aller explorer d’autres univers, on se contente de l’imiter, en moins bien forcément.

 

Chris Landreth, le réalisateur récompensé à Annecy pour son court métrage Subconscious password, parle de « psycho-réalisme » pour définir son style. Comment vois-tu son cinéma ?

 

Ryan, son film le plus intéressant au niveau d'une Histoire du cinéma d'animation, met en scène des personnages blessés par la vie. Il représente physiquement ces blessures morales. Je trouve ça un peu bizarre qu’un réalisateur emploie des mots comme « psycho-réalisme » pour parler de son œuvre. Je préfère largement un Jan Svankmajer qui ne donne aucune piste au spectateur et lui laisse du même coup une totale liberté d’interprétation. J’ai eu la chance de l’interviewer d’ailleurs. Le rôle de l’inconscient est extrêmement intéressant chez chacun de ces grands réalisateurs. Souvent mes élèves se demandent ce qu’un réalisateur a voulu dire à travers tel ou tel plan ou en utilisant tel ou tel symbole. J’essaie de leur faire comprendre qu’au fond, on s’en fout. Je le pense sincèrement. L’important est  qu’ils arrivent à se faire leur interprétation personnelle, elle est aussi importante que celle du réalisateur lui-même. Après, libres à eux de creuser à fond ! Pour revenir à Chris Landreth, j’ai trouvé ses deux premiers films Ryan et The Spine, beaucoup plus marquant que ce dernier, qui se veut plus léger, plus drôle mais aussi plus anecdotique.

Tu parlais de la capacité de certains réalisateurs capables de réinventer leurs styles dans chacun de leurs films, ça me fait beaucoup penser à Arthur Rimbaud en poésie. On peut lire énormément de choses et finalement, toujours revenir aux mêmes.

 

Oui c’est vrai. J’ai été à un festival de vieux films il y a quelques années et je me demandais : pourquoi Griffith ? Pourquoi Eisenstein ? Pourquoi c’est eux que l’histoire a retenu ? On parlait tout à l’heure de Claude Monet, j’ai découvert les Nymphéas récemment et c’est vrai que pour créer une telle œuvre de liberté et de puissance, dans une telle diversité… Certaines œuvres sont très résistantes au tamis du temps !

Comment expliques-tu ce choix du Jury ?

 

Cette année, j’ai trouvé tous les jurys super classiques, comme s’ils refusaient de voir ou de mettre en avant autre chose.

 

Pourtant, Marcel Jean avait mis l’accent sur une programmation très variée.

 

Oui mais Marcel Jean est le directeur artistique, il sélectionne les films mais il ne vote pas pour les différentes récompenses. Les jurys font ce qu’ils veulent. Personnellement, je ne publie plus aucun Palmarès sur Zewebanime. Je comprends très bien que les palmarès soient très importants pour les réalisateurs et les producteurs, c’est fondamental en France car il y a des points et un peu d’argent à la clé (référence au système mis en place par le CNC). Par contre, je ne comprends pas le système de prix. J’ai appris hier que je ferai partie du comité de sélection du césar de l’animation alors que j’ai appelé à le boycotter. Quoiqu’il en soit, j’ai trouvé que le palmarès de l’édition 2013 du Festival d’Annecy était d’un classicisme terrible ! A mon sens, c’est Jasmine qui aurait dû remporter le cristal du long métrage mais ce film, qui proposait pourtant quelque chose de neuf et de très original, n’était pas assez « esthétique » pour les membres du jury.

 

L’innovation, la recherche, pousse son art toujours plus loin, c’est ce qui définirait selon toi un bon réalisateur ?

 

Le plus important, c’est d’abord de savoir ce que l’on veut. L’autre jour, j’ai vu un film qui s’appelle Sharknado, le scénario est très simple : des tornades se forment sur la mer, des requins en jaillissent en terrorisent la ville. Alors ce film n’est pas bon du tout mais j’adore cette liberté, ce côté complètement délirant. A côté de ça, il y a des Norstein qui prennent 12 ans pour faire un film. Je crois qu’il faut savoir ce qu'on a envie de faire.

 

C’est plutôt rare ce genre de discours non ?

 

Evidemment, aujourd’hui on parle beaucoup plus des réalisateurs que des animateurs, il y a une certaine starification de ces derniers. Le risque c’est qu’on n’ait plus envie de faire un vrai film mais un produit qui se vend rapidement, sans y réfléchir. Je préfère Théodore Ushev, Frédéric Back ou encore Takahata, qui font des films en y réfléchissant très sérieusement à des réalisateurs comme Bill Plympton qui font un court en 6 mois.

 

Tu n’es donc pas un fan de Plympton ?

 

Je pense qu’il s’est enfermé dans un style. Comme Landreth aujourd’hui, il n’a pas su se renouveler. Il est partout mais en même temps il fait tout lui-même du scénario au financement. Je préfère la jeune génération d’aujourd’hui car ils ont su faire évoluer leurs styles comme Jérémy Clapin ou Franck Dion.

 

L’animation numérique n’a pas de passé. Les objets en ont et en auront toujours un plus ancien que l’homme qui les tiendra dans ses mains – quel que soit cet homme. Comment peut-elle avoir un futur ?

 

Il faut lui laisser le temps. On réfléchit toujours dans un rapport matériel, mais le monde change ! Je peux très bien comprendre que ça fasse peur, mais la virtualité fait partie du monde des nouvelles générations. Certes, l’animation numérique n’a pas de passé mais elle va en avoir un. On veut inventer un passé au numérique pour qu’il soit en relation avec nous-mêmes, on cherche à anthropomorphiser l’ordinateur en quelque sorte. Mais oui, le numérique aura aussi un futur, je ne me fais pas de soucis pour lui (rires)

 

Dans une très récente interview donnée à Ecran Large, Chris Landreth dit de Jan Svankmayer qu’il est son héros. Pourtant, tout les oppose. L’un est un maître de l’animation informatique, l’autre de l’animation plastique. Comment expliques-tu cela ?

 

L’important n’est pas la technique. Ce qui relie Landreth et Svankmayer, c’est leur capacité à montrer ce qu’il y a à l’intérieur de la peau de leurs personnages. Par le biais de l’animation, ils exhument une psychologie qui leur est propre. C’est à ce niveau-là qu’il faut chercher une filiation.

 

Tu exprimais récemment ton regret concernant l’interactivité du film Sadako 3D 2, que tu mettais sur le compte des jeux-vidéos. Est-ce pourtant un mal que de repousser la passivité inhérente au média cinématographique ?

 

Je ne dirai pas qu’on est passif lorsqu’on regarde un film.

 

Pourtant, le cinéma est une sorte d’hypnose…

 

Je dirai plus qu’on se laisse volontairement hypnotiser. Quand je visionne un film, je suis en totale interaction. Il m’arrive de noter des impressions ou des idées sur un bout de papier. Si je n’ai pas de feuille sous la main, je peux les écrire sur mon bras. Pour utiliser une tournure un peu facile, je dirai que je fais corps avec le film en question. (Rires) Au cinéma aussi on peut se projeter, on créé son propre hors-champ. Le cinéma apporte donc des choses assez passionnantes au jeu vidéo et je crois que le jeu vidéo peut aussi apporter au cinéma mais, encore une fois, pas nécessairement par l’intermédiaire de la matérialité. Il n’y a pas besoin de créer un univers matériel autour du film, cela doit venir aussi de l’imaginaire, de ce qui se passe dans notre tête.

 

Pour toi, le cinéma implique donc une double projection : projection de la vision d’un réalisateur sur et pour un public et projection des ressentis du public sur l’œuvre du réalisateur…

 

Oui et ça peut être la même chose pour une interview (rires) Lorsque j’écris un article avec mes propres mots, les gens qui me connaissent s’amusent et me reconnaissent au travers des nombreuses fautes d’orthographe ! D’autres ne vont plus sur mon blog parce qu’ils trouvent que les articles sont trop mal écrits ! C’est du donnant-donnant, on créée quelque chose, le public le reçoit et peut l’interpréter différemment de l’auteur. Pour moi, dire d’un film qu’il est grand public implique justement une plus grande responsabilité. S’il est grand public, alors on peut légitimement être plus sévère.

 

Est-ce que le cinéma ne pâtit pas justement de cet individualisme, de ce manque de correspondance entre un public et un film ?

 

Je ne suis pas spécialiste des citations mais il y a cette phrase de Camus qui dit qu’il est plus facile de s’adresser à la « paresse » des gens qu’à ce qui pourrait élever leurs âmes. Personnellement je n’ai pas la télévision parce que, malgré mes beaux discours, je sais bien que je pourrai regarder des conneries en rentrant fatigué le soir. Finalement, tout le monde est un peu en tort parce que personne ne veut prendre de risques.

 

Ça revient un peu à ce que tu disais tout à l’heure : l’innovation, le risque, tout ça doit faire partie du rôle de l’artiste.

 

Tout à fait, pour reparler de Jérémy Clapin, son dernier film va un peu à l’encontre de ce qu’il avait fait dans Skhizein. Dans une interview que j’avais faite avec Marcel Jean, il disait qu’il s’était battu pour que Palmipedarium soit sélectionné à Annecy. Il n’empêche que beaucoup de gens, moi le premier, ont adoré ce court-métrage. Son auteur a pris plus de risques et le résultat est au rendez-vous ! Je me suis récemment mis à lire de la poésie, je trouve la liberté des poètes absolument fascinantes. Ils ne se sentent pas dans l’obligation de faire passer un sentiment, tout n’est pas censé avoir un sens ou une explication.

Pour résumer, aujourd'hui on ne donne plus beaucoup de temps aux oeuvres pour s'imposer que ce soit sur internet ou dans un festival. Cependant, parfois il faut du temps pour bien comprendre les films et les revoir. Finalment, aujourd'hui, nous sommes sur un héritage et comme tout héritage, c'est bien de bousculer les bases et les codes qui en sont sortis.

 

Peux–tu me parler de ton métier de professeur ? J’ai vu que dans les biographies qu’on peut trouver sur le net, c’est ce rôle que tu mets en avant.

 

Ce que j’aime avec la pédagogie c’est de me dire que j’ai pu influer très modestement, j’insiste là-dessus, un ou deux élèves sur les 40 ou 50 à que j’ai chaque année. Si je vois dans 10 ans, un étudiant ou une étudiante que j’ai pu un peu aider, sortir un super film, c’est un bonheur ! Je travaille beaucoup en ce moment avec une étudiante qui s’appelle Valentine Delqueux, elle était d’ailleurs venue à une des conférences organisée par Croq’Anime. Elle a réalisé la bande annonce des rencontres que j’organisais à Annecy (Café Croissant AAA/Zewebanime NDLR). J’ai la chance d’avoir une passion : le cinéma et j’ai la chance de pouvoir en parler, aussi bien dans une conférence que dans un amphi. Je ne me place pas dans le rôle de pédagogue, c’est pour ça que mes méthodes ne plaisent pas à tout le monde. Je suis franc avec les étudiants : mon rôle n’est pas de faire en sorte qu’ils décrochent un boulot à la sortie mais de leur ouvrir le plus d’horizons possibles pour qu’ils puissent faire un cinéma dans lequel ils se reconnaissent vraiment.

 

Quel est le défaut récurrent de tes étudiants dans leur approche du cinéma ou en analyse filmique ? Quels conseils ne cesses-tu de leur marteler ?

 

De plus en plus d’étudiants veulent se diriger vers le court-métrage d’auteur. Ils réfléchissent souvent à  la façon dont ils vont rentabiliser le film avant même de penser au film en lui-même. S’ils n’ont pas d’argent pour le film, ils ne le font pas. Je pense qu’à partir du moment où on veut créer quelque chose, il faut avoir une envie profonde de se lancer, même si on ne touche pas ou très peu d’argent à la fin. Pour prendre mon exemple, mon boulot de prof à l’Esaat c’est une chance énorme car sur deux ans, j’ai le temps de développer un vrai cours, d’inculquer et de transmettre énormément à mes élèves. En une phrase, ce que je veux dire aux élèves, c’est que quelques soient les choix qu’ils font, bons ou mauvais, ils ne doivent jamais cesser d’avancer.

 

J’espère qu’ils te liront (rires) Pour repartir sur des questions un peu plus basiques : Qu’est ce qui t’a poussé à monter un blog ?

 

Alors là je vais pouvoir être très synthétique (rires) : je travaillais à l’époque pour le magazine Storyboard, je n’aimais pas écrire mais ça faisait partie de mon boulot. Mon amie Judith m’aidait dans l’écriture de mes articles. Malheureusement le magazine s’est arrêté. J’étais triste car j’avais pris goût à l’écriture sur des sujets comme l’animation. C’est là que Judith m’a dit «  je te monte un blog ». Un grand merci à elle ! Comme souvent dans les histoires d’amour, il est arrivé un moment où nous nous sommes séparés. Le site a un peu végété mais je me suis dit qu’il fallait en faire quelque chose. Franck Dion m’a fait une jolie bannière et Cédric Villain du site de Fousdanim’ m’a aidé à refaire le site. L’idée de départ était de faire un agenda qui référençait tous les évènements en lien avec l’animation. Aujourd’hui, dès que quelque chose me plait, je le mets sur le blog.  Après, Je ne veux pas craquer pour la nouveauté.

Combien  ton site compte-t-il de visiteurs ?

 

En comparaison avec Fousdanim ou Catsuka, je suis un petit. Les statistiques officielles de mon « provider » font état de 80.000 visiteurs uniques par mois. Je n’y crois pas, ça me semble un peu gonflé. Pour me rassurer, je me dis qu’il y en a la moitié qui visite réellement, et puis ne serait-ce que 5 000 personnes qui s’intéressent réellement aux articles, c’est déjà énorme ! 

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