top of page

Entrevue avec Francis Gavelle

 23 août 2013 | Bérénice Dormann

Producteur d’une émission de radio dédiée aux livres, à la musique et au cinéma sur Radio Libertaire, membre de la commission “court métrage” de la Semaine de la Critique (Festival de Cannes) de 2001 à 2011, sélectionneur “court métrage” de l’édition 2009 du Festival du Film d’Animation d’Annecy et membre du comité “animation” des César…

 

 

Francis Gavelle donne le ton et s’investit pleinement dans le cinéma d’animation, mais pas seulement !

 

 

 

 

Bonne lecture !

 

 

 

 

 

 

 

 

Quels sont vos critères pour définir un bon film d’animation ? Le fond doit-il rejoindre la forme ?

 

Oui, le fond doit rejoindre la forme ; mais après la question est toujours difficile. Quels sont les critères pour définir un bon film ? Qu’est-ce que j’attends d’un film ? En fait, j’attends qu’il me transcende, qu’il me propose une vision transcendée de la réalité. Pourquoi va-t-on au cinéma ? Pour voir un concentré de vie, qu’elle soit quotidienne ou improbable. Je n’irai jamais dans l’espace, mais j’attends de Star Wars qu’il me rendre le monde galactique possible ! En tout cas, j’ai envie, en tant que spectateur, de quelque chose de dense, d’un film qui provoque une interrogation par rapport au monde qui nous entoure. Et cela, même dans le cadre d’un divertissement.

Pour en revenir à l’adéquation entre le fond et la forme, je crois que c’est le but que se fixe tout réalisateur, en prise de vues réelles comme en animation. L’adéquation n’est pas forcément immédiate, elle se cherche. On avance à tâtons. Parfois, il faut un moment déclencheur : trouver le titre du film par exemple, et trouver ainsi le cœur du récit et la forme que celui-ci doit prendre. Parfois, cet équilibre entre la forme et le fond peut risquer d’être remis en  cause par le manque de financement  – ou le mauvais financement – du film, par des conditions de tournage contraignantes et le réalisateur – avec le soutien de son producteur – doit veiller à la sauvegarde de l’idéal du film, quitte à l’adapter. Finalement, en prise de vues réelles comme en animation, ce qui compte, c’est de réussir à préserver la vision du monde, que l’on veut offrir, simple partage ou discussion contradictoire, au spectateur.

Voyez-vous le cinéma d’animation comme un large champ d’expérimentation, avec de nouvelles techniques à développer ?

 

Le cinéma, comme tous les arts, est un champ d’expérimentation et le sera toujours. Après, la spécificité du cinéma, pour reprendre la phrase de Malraux, est que c’est un art et une industrie. Aujourd’hui, en long métrage, on pourrait dire que la norme industrielle, c’est l’animation 3D. C’est en tout cas la volonté affirmée par Hollywood, qui propose une production de blockbusters standardisés. Parallèlement, il existe, en court métrage, des réalisateurs qui proposent, film après film, une approche non standardisée de la 3D. Par exemple, Jérémy Clapin : si la palette chromatique de Skhizein est dans les marrons, les verts ; Palmipedarium travaille sur l’abstraction en matière de couleurs, une abstraction au blanc, serais-je tenté de dire. Même chose pour le design graphic des personnages, que chaque film élabore de manière spécifique, et non interchangeable, comme la production mainstream américaine.

Même chose, dans un autre domaine, pour le cinéma abstrait. Comme c’est un cinéma non narratif et non figuratif, il reste toujours marginal. Mais le travail des expérimentateurs qu’ont pu être, dans les années 20-30, des artistes comme Hans Richter ou Oskar Fischinger, plus tard encore Len Lye ou McLaren, est à un moment ou à un autre récupéré, transformé, par l’industrie. Le grattage sur pellicule, par exemple, avec l’aspect sale qu’il vient donner à l’image, finit par devenir une marque de fabrique de nombre de films de genre, parce qu’il aide à mettre en place des univers sordides, interlopes. On ne gratte plus la pellicule, on la salit ; mais l’inspiration technique vient bien de l’influence de ces pionniers et de leurs travaux sur le support cinématographique.

Pour quelle raison avoir été à Annecy et depuis combien d’années allez-vous au Festival ?

 

Pour l’amour de l’animation ! Etre présent à Annecy, c’est un peu comme réaliser un fantasme ! En tant que sélectionneur à la Semaine de la Critique, j’avais commencé à découvrir de nombreux films d’animation fabuleux. En 2004, à titre d’exemple, j’avais vu, coup sur coup, Signes de vie d’Arnaud Demuynck, L’homme sans ombre de Georges Schwizgebel et Ryan de Chris Landreth... Je savais, bien sûr, qu’il existait, en France, un endroit où l’on pouvait voir plus de films encore ; mais, comme Annecy tombait peu de temps après Cannes, ce n’était pas toujours évident pour moi d’être disponible.

Finalement, en 2007, je me suis lancé. J’ai posé ma candidature pour le jury Fipresci (presse internationale), fait une demande de congés et ai débarqué, du jour au lendemain, au Festival. Et là, j’étais comme un gamin dans un magasin de jouets ! Un gamin, qui vient tout voir, tout toucher ! (Rires.) Cette profusion de films, toutes ces séances uniquement consacrées à l’animation – plus, il faut bien l’ajouter, l’attrait de la ville elle-même, le lac, les montagnes, la vieille ville – c’était un bonheur de découvertes. Ensuite, en revenant d’année en année, en participant en 2009 au comité de sélection “courts métrages”, en confrontant mon point de vue à celui d’autres festivaliers, j’ai tenté d’affiner cette approche initiale, purement cinéphage. Mais, je suis, en tout cas, toujours resté fidèle à la sélection phare du Festival : les courts métrages en compétition. 

Cette année encore, vous étiez présent ; en long métrage comme en court, quel a été votre coup de cœur ? Et pourquoi ? 

 

Mon coup de cœur pour les longs métrages, c’est le film d’Alain Ughetto, Jasmine. Je trouve passionnante cette hybridation entre film animation et film en prise de vues réelles ; tout comme je trouve sensible cette juxtaposition entre documentaire sur l’Iran, à l’époque de la Révolution islamique, et journal intime d’une histoire d’amour ancienne. Il y a ici une vraie transcendance entre la forme et le fond. Une transcendance sublimée par l’utilisation de la pâte de modeler, comme intermédiaire pour raconter cette rencontre amoureuse, cette découverte du corps de l’être aimé. La pâte à modeler, technique du toucher, du modelage de la matière, devient une nouvelle caresse, déposée sur le corps de la femme aimée, mais devenue inaccessible.  

 

Pour le court métrage, mon coup de cœur, c’est un film, que je connaissais déjà avant de venir au Festival et que j’étais ravi de voir programmé en compétition : Mademoiselle Kiki et les Montparnos d’Amélie Harrault. C’est un documentaire animé, qui brosse, en moins de quinze minutes, le portrait de celle qui fut l’égérie des artistes du Montparnasse des années 20. Pour moi, il s’agit là d’un film brillant et je le considère déjà comme un film qui sera date dans l’histoire de l’animation française récente, au même titre que Skhizein ou Logorama. L’avenir me dira si j’ai raison ou tort ; mais j’espère vivement ne pas me tromper. 

Dans votre compte-rendu du Festival d’Annecy, on peut lire que vous avez remarqué des changements sur différents plans : d’une part sur le festival et son organisation, d‘autre part sur les films. Ces changements sont-ils bons pour accueillir un plus large public qui pourra, par la suite, être plus sensibilisé au cinéma d’animation ?

 

Côté organisation, c’est vrai que le Festival devait composer avec la fermeture, pour rénovation, du Centre Bonlieu, la scène nationale d’Annecy, et donc avec la perte de quelques 1.300 places. Il faut le dire, un festival existe par la capacité qu’il a à accueillir le public, professionnel ou local. La solution trouvée, avec cette salle provisoire des haras, fut donc un honnête compromis, en permettant de bénéficier d’une structure d’une capacité de 800 places. D’ailleurs, on pourrait formuler le souhait que ce lieu devienne permanent, même après la réouverture de Bonlieu en 2014, ou plus vraisemblablement en 2015. A l’identique de la salle du 60e à Cannes, qui ne devait exister que pour les soixante ans du Festival et est finalement devenue un lieu de projection supplémentaire pour les programmes de la sélection officielle. Ainsi, la salle des haras pourrait, entre autres, accueillir une programmation “Animation off-limits‌” plus conséquente et, pourquoi pas compétitive, à l’image de la compétition labo à Clermont-Ferrand. Je dois, en effet, reconnaître que cette initiative de programmation, due à l’arrivée, au poste de délégué artistique, de Marcel Jean, fut tout à fait enthousiasmante, parce qu’elle amenait à se poser : “Mais qu’est-ce qu’il reste du cinéma d’animation, quand ce n’est plus de l’animation ?” Après, est-ce que j’ai vraiment répondu à votre question, c’est un autre sujet ! (Rires.)

Dans votre article, vous parlez également d’un changement au niveau de la forme, aidé en cela, donc, par la nouvelle programmation « Animation off-limits ». Est-ce une manière de modifier cette conception très ancrée dans les esprits que le film d’animation est synonyme de spectacle réservé aux enfants ?

 

Peut-être… Mais la question que l’on peut se poser aussi, c’est : est-ce que c’est bénéfique pour le cinéma d’animation, quand un film connaît le succès ? Oui, bien sûr, parce que cela prouve que l’on peut réussir, gagner de l’argent, aussi bien en animation qu’en prise de vues réelles. C’est sans doute, d’ailleurs, ce qui fait qu’aujourd’hui en France, nombre de professionnels – producteurs ou distributeurs – s’intéressent de près à l’animation. Mais, dans le même temps, les succès – pour prendre des films récents – de Moi, moche et méchant 2 ou de Monstres Academy renvoient, même avec talent, à des films standardisés et ciblés “jeune public”, ou tout du moins “tous publics”.  

Et l’idée de mélanger prise de vues réelles et animation, est-ce un moyen à développer pour séduire les adultes, le grand public ? Est-ce une bonne méthode pour intégrer le cinéma d’animation, dans le monde du long métrage dans son ensemble ?

 

Je ne sais pas si ce mélange peut séduire le grand public. A titre d’exemple, même chez les spectateurs privilégiés, que peuvent être les critiques de cinéma – “privilégié”, au sens où ils voient beaucoup de films, ont une culture cinéphile conséquente –, ce mélange perturbe. J’ai des souvenirs assez clairs des réticences exprimées par mes collègues du comité de sélection “courts métrages” de la Semaine de la Critique, après visionnage du film de Tibor Bànòczki et Sarolta Szabo, Les Conquérants (2011), parce que ce récit d’aventures fantastiques, sous influence de Jules Verne, mixait  tournage en prise de vues réelles en noir et blanc et animation par ordinateur.

 

Je pense, en fait, que, si le cinéma d’animation veut pouvoir exister, en toute légitimité, au sein de la galaxie “cinéma”, il lui faut plutôt se débarrasser de sa tendance à la puérilité. Je sais, au sujet de mon compte-rendu sur le Festival d’Annecy, publié sur le site des “Fiches du Cinéma”, que certaines personnes – certains professionnels – ont pensé que je considérais le cinéma pour enfants comme puéril, ce n’est pas le cas. Ce que je considère, c’est que le cinéma d’animation a une tendance à la puérilité et que c’est de cette tendance qu’il doit se méfier, voire se défier. 

Et cette standardisation, je pousse à l’extrême, finit par créer une sorte de division internationale de la production d’animation, avec, aux Etats-Unis, une production en 3D, loufoque et récréative, portée par Dreamworks, Pixar, Blue Sky ou Disney ; au Japon, des œuvres à la fois intimistes et oniriques (les films de Miyazaki et de Mamoru Hosoda) et en France, des films prototypes ancrés dans l’univers singulier d’un auteur. Mais, pour tenter d’en finir avec la question, la réussite d’un film d’animation, non directement ciblé “jeune public”, elle reste rare. Valse avec Bachir, Persépolis, oui. Mais, demain, qu’en sera-t-il pour Jasmine ? Quand on voit que le jury du Festival d’Annecy a tenu le film d’Alain Ughetto à l’écart de son palmarès et lui a préféré un film brésilien, Rio 2096, au scénario prévisible et calibré pour un public d’ados geeks, on peut être dubitatif quant à l’évolution du point de vue, y compris des professionnels, sur le cinéma d’animation. 

De 2001 à 2011, vous avez été sélectionneur “courts métrages” pour la Semaine de la Critique, est-ce une bonne expérience ? Ces 10 ans vous ont-ils été suffisants pour aiguiser votre sens de sélectionneur, ainsi que votre sens de la critique ?

 

Je ne pense pas que ces dix ans ont pu être suffisants pour aiguiser mon sens critique vis-à-vis des films ; mais ils ont, en tout cas, été un formidable accélérateur de découverte de la production cinématographique mondiale. En effet, quand on est critique de cinéma, on est amené à voir certes beaucoup de films, mais on ne voit – exception faite, parfois, dans les festivals – que des films qui sortiront finalement en salles.  Alors que, quand on est sélectionneur, courts comme longs, on a accès à toute la production, ce qui finit vite par représenter plus d’un millier de films. Et là-dedans, comment réussir à séparer le bon grain de l’ivraie ? Comment rester encore frais, quand cela fait plusieurs heures que l’on “enfile” les films et que l’épuisement se fait sentir ? En même temps et c’est ce qui est passionnant – et qui fait que l’on en redemande pendant dix ans – il y a ce moment magique où l’on se retrouve devant un film, qui vous rend muet d’admiration ou béat de bonheur. J’ai déjà évoqué quelques films d’animation ; mais, en prise de vues réelles, je citerai les déambulations intimistes de Mikhaël Hers, Charell et Primrose Hill, ou les fantaisies burlesques du Suédois Patrik Eklund, Situation Frank et Slitage. Soudain, on est là devant des films qu’on a le désir de porter à la connaissance du public, des professionnels ; des films – et des auteurs – que l’on est prêts à défendre, à imposer, même face aux esprits les plus réticents. On ne les convaincra sans doute pas, mais on aura essayé et si eux ne sont pas convaincus, d’autres le seront peut-être. Mais non, dix ans, ce n’est pas suffisant, parce que “aiguiser son esprit”, c’est un travail constant et sans fin. 

En 2012, vous avez été membre du jury de la Caméra d’Or, pouvez-vous nous parlez cette expérience : en quoi cela consiste-t-il ? Quels en ont été les moments forts ? Êtes-vous d’accord sur la nomination du film de Benh Zeitlin, Les Bêtes du Sud sauvage ?

 

C’est une expérience exceptionnelle, tout d’abord, parce qu’elle n’arrive qu’une seule fois dans une vie. C’est aussi une manière de découvrir un certain état du cinéma : celui des premiers films. Et c’est enfin une manière glamour et protocolaire de découvrir le Festival, avec les fameuses montées des marches des séances du soir. En dix années de présence à Cannes, c’était la première fois que j’achetais un smoking ! (Rires.)

En termes d’enjeux, la Caméra d’Or se situe juste après la Palme d’Or. Pourquoi ? Parce que c’est le seul prix “transversal” du Festival de Cannes. En effet, elle peut aussi bien être attribuée à un long métrage en Compétition Officielle ou à Un Certain Regard – donc, le Festival de Cannes officiel – qu’à un film présenté en section parallèle : Quinzaine des Réalisateurs et Semaine de la Critique. L’enjeu est donc d’importance pour chacune des sections et les attentes très fortes pour les réalisateurs, d’autant plus que le prix est remis lors de la cérémonie de clôture du Festival.

Le jury, lui, est composé d’un président, qui est presque toujours un réalisateur et de cinq ou six jurés, suivant les années. Quatre d’entre eux sont nommés par des institutions professionnelles, membres du conseil d’administration du Festival de Cannes : le Syndicat Français de la Critique de Cinéma (SFCC), l’Association Française des directeurs de la photographie Cinématographique (AFC), la Société des Réalisateurs de Films (SRF) et la Fédération des Industries du Cinéma, de l’Audiovisuel et du Multimédia (FICAM). Enfin, le dernier juré est une personnalité du cinéma (réalisateur, critique, distributeur,…) nommée par Gilles Jacob, actuel Président du Festival et créateur du prix en 1978.

En 2012, le président du jury était donc le cinéaste brésilien, Carlos Diegues. Membre fondateur du Cinema Novo – un courant que j’avoue mal connaître – il a en tout cas confirmé cette réputation, qui le précédait, de curiosité envers le jeune cinéma et, tout au long de nos délibérations, il a fait montre d’un esprit d’ouverture très appréciable. Pourtant, certaines de nos pré-délibérations ont pu être houleuses et contradictoires ; mais jamais elles n’ont ressemblé à des confrontations d’egos surdimensionnés. C’étaient des discussions de cinéphiles passionnés, sans préjugés, ni interdits.

Pour le film de Benh Zeitlin, comme il existe un devoir de confidentialité, fort compréhensible, autour de la délibération finale, je pourrais juste livrer mon point de vue personnel. Je trouve que c’est un film très brillant, talentueux, mais qui affiche trop sa volonté de séduire le spectateur. Sentiments exacerbés, nature déchaînée, pauvreté solidaire et libertaire, gamine de six ans aussi philosophe qu’effrontée… C’est un peu beaucoup à mon goût pour un seul et même film ! Mais je dois reconnaître que le film a fait une belle carrière et donc séduit le public ; c’était son but, non ?!

 

Depuis 1998, vous animez une émission radio, sur l’antenne de Radio Libertaire, qui s’intitule “Longtemps, je me suis couché de bonne heure”. Vous y parlez de musique, de cinéma et de littérature : pourquoi ces fondamentaux ? Êtes-vous spécialisé dans un genre ou une catégorie particulière ?

 

Non, il n’y a pas de spécialisation. Le sous-titre de l’émission, d’ailleurs, c’est “Magazine des livres, de la musique et du cinéma”. Pourquoi “livres”, par exemple : tout simplement pour dire qu’il ne s’agit pas seulement d’évoquer la littérature ; on peut également parler de bande dessinée, d’essais, politiques ou philosophiques, de livres de photos ou de peintures.

A ses débuts, en fait, l’émission parlait seulement de cinéma et de livres. Comme c’était ma première expérience en radio, j’avais choisi de m’entourer de deux personnes, qui avaient, d’une part, une culture assez impressionnante chacune dans un domaine et, d’autre part, un carnet d’adresses fourni, notamment en ce qui concernait les attachés de presse. De mon côté, j’ai certes très cinéphile et lecteur assidu ; mais ces présences me rassuraient. Enfin, avant d’arriver à Radio Libertaire, j’avais animé une revue, qui publiait nouvelles littéraires et scénarios de courts métrages ; l’émission était donc comme un prolongement de ce choix initial.

Si l’émission s’intitule “Longtemps, je me suis couché de bonne heure”, c’est tout simplement liée à ma première participation à un atelier d’écriture du scénario : celui qui animait le stage nous avait en effet proposé, comme exercice d’introduction, l’adaptation en écriture scénaristique de la phrase d’ouverture de La Recherche du temps perdu de Proust. Cette phrase s’est donc, tout logiquement, imposée comme titre de l’émission.

La musique, enfin, c’est venu pas à pas, même si elle constitue mon premier amour artistique, puisque, au lycée, je jouais dans un groupe de rock ! (Rires.) Enfin, du rock tendance californien, Eagles, America, peu à peu mâtiné de chanson française, principalement Michel Jonasz… Au début, donc, quelques pauses musicales, parfois choisies par les invités eux-mêmes. Maintenant, c’est plus conséquent, avec des contacts réguliers avec des labels, l’invitation d’auteurs-compositeurs-interprètes à l’antenne. Mais là, pareil, pas de spécialisation, je peux aller du classique à l’électro, en passant par la world music ; comme en cinéma, il peut être question d’un blockbuster américain ou d’un premier long métrage brésilien. 

Les émissions de radio consacrées au cinéma sont peu nombreuses, comment l’expliquez-vous ? Pourquoi n’en parle-t-on pas plus ? Pourquoi avoir choisi ce médium ? Que peut-il apporter de plus que la presse ou la télévision ?

 

J’ai choisi ce support un peu par hasard. A l’époque, j’étais employé dans une librairie et j’avais comme client le responsable du secrétariat de Radio Libertaire. Il m’a invité, une première fois, dans son émission, pour que j’évoque ma revue et, de fil en aiguille, j’ai fini par lui faire une proposition d’émission. C’est donc un choix de circonstance et de rencontre !

Certes, à la radio, il y a peu d’émissions spécifiques consacrées au cinéma ; mais il y en a quand même quelques-unes emblématiques, comme Le Masque et la plume, sur France Inter. Il y en a également, bien sûr, sur France Culture, et sans doute après sur des radios locales ou indépendantes, type Radio Aligre. A Radio Libertaire, il y a aussi une très bonne émission, où tout le cinéma français qui compte – et je le dis sans forfanterie –  vient s’exprimer, c’est Contre-bandes. Non, le vrai déficit en émissions sur le cinéma, tout du moins en tribune critique, il est à la télévision. 

Tout simplement, parce que ce type d’émissions n’intéressent plus les chaînes. Elles préfèrent les émissions de flux, moins chères à produire, ou les talk-shows politiques et la téléréalité, qui font de meilleurs taux d’audimat et incitent les annonceurs publicitaires à acheter à prix d’or des passages de spots. En fait, hormis Le Cercle, sur Canal+ (mais pour combien de temps encore), il n’y a plus d’émissions sur le cinéma et les dernières tentatives dans ce domaine ne se sont pas vues reconduites au-delà d’une, parfois deux saisons.  

Enfin, je crois que ce que la radio apporte de spécifique, c’est une sensation d’intimité. On est à l’écoute d’une voix, de son  timbre, de ses hésitations, de ses emballements. On est à l’écoute de la respiration d’un être humain et finalement presque de son âme. Tout cela pour dire qu’il y a une très forte sensation de proximité, pourtant paradoxale, puisque l’on est à la fois si loin et si proche. 

En 2010, vous avez également été membre du comité de sélection des courts métrages professionnels  pour le Festival National de l’AFCA (Association française du cinéma d’animation).  Il y avait également un comité de sélection des films étudiants, était-ce votre choix de participer à la sélection des films professionnels ? Avez-vous ressenti une nette frontière qualitative entre étudiants et professionnels ? Quels conseils donneriez-vous à un jeune réalisateur débutant ?

 

Tout d’abord, je ne peux pas donner de conseil à un réalisateur débutant, parce que je ne réalise pas moi-même ! La seule chose, très évidente, que je pourrais dire, c’est qu’il faut croire en soi et en son projet et qu’il faut tenter de préserver, le plus possible, l’authenticité de celui-ci, malgré toutes les contraintes financières et les difficultés techniques qui ne manqueront pas d’apparaître.

Pour en revenir à l’AFCA, c’est moi, en fait, qui ais sollicité l’association. J’avais envie, comme cela avait été le cas, en 2009, quand j’avais participé au comité de sélection d’Annecy, de me plonger dans un bain d’animation ! Je voulais aussi avoir une vue d’ensemble de la production française, voir si les producteurs que je connaissais mettaient en place de nouveaux univers, de nouvelles collaborations ; découvrir, par ailleurs, des sociétés de productions ou des artistes qui n’envoyaient pas leurs films à Cannes, parce qu’ils pensaient, à tort ou à raison, que ce n’était pas leur place. Enfin, j’avais fini par apprendre que Christophe Chauville et Frédéric Lavigne seraient membres du comité de sélection et, même si je les connaissais, je n’avais jamais eu l’occasion de travailler avec eux et cela me tentait.  

Après, une fois à Bruz, durant le Festival, je n’ai pas eu l’occasion de voir l’intégralité de la compétition étudiant. Je ne pourrai donc pas dire s’il y a ou pas une nette frontière qualitative. En fait, je ne crois pas qu’il y en ait vraiment une. Bien sûr, les contextes de production sont très différents et l’école peut agir comme un sas protecteur, par rapport à la réalité de la production. A l’école, vous n’êtes pas confronté aux aléas de la recherche de financements, aux problèmes de disponibilité des collaborateurs du film… Vous faites votre film durant l’année scolaire et le présentez en fin d’année. Ensuite, sur le plan artistique, je pense que l’école permet de poser les prémices d’un univers graphique et littéraire, qui viendra s’enrichir, se peaufiner, film après film, avec le soutien, en premier lieu, du producteur. 

Vous avez participez au comité de sélection “courts métrages” de l’édition 2009 du Festival d’Annecy ; de septembre 2000 à février 2008, vous étiez programmateur d’une manifestation de courts métrages appelée “Le Goût du court” ; vous êtes également membre du comité “animation”  des César. Ce format est-il plus adapté à l’animation, au cinéma ? Et d’où vient cette passion pour le court ?

 

Je n’ai pas une passion pour le court, j’ai une passion pour le cinéma dans son ensemble ! Ensuite, ce qui fait la suprématie du long métrage, c’est que tout le système d’exploitation en salles est organisé autour de ce format. Mais si l’on remonte aux origines du cinéma, tous les films projetés en salles étaient des courts métrages. Raison technique oblige : les appareils de prise de vues avaient de petites chambres et ne pouvaient donc contenir que des bobines de courte durée. L’évolution technologique a ensuite permis d’avoir des caméras avec un magasin de plus grande capacité ; puis ensuite de coller ensemble les bobines de vingt minutes, sans que les conditions de projections en souffrent. Et ainsi de suite, jusqu’à l’arrivée du numérique et de ses capacités étendues de compression des fichiers images, qui permettent des durées d’enregistrement quasi sans limites.

Après, je ne pense pas que le court métrage soit plus adapté au cinéma, voire à l’animation. Plus inventif, plus expérimental, peut-être. Mais les trois heures de projection de La vie d’Adèle, chapitre 1 et 2 d’Abdellatif Kechiche aiguisent autant mon intérêt que les 12 minutes du Banquet de la concubine d’Hefang Wei. 

 

 

En tant que sélectionneur, je dirais Madame Tutli-Putli  de Chris Lavis et Maciek Szczerbowski. Je me souviens parfaitement du moment où j’ai découvert le film. C’était un vendredi en fin de matinée ; j’étais arrivé en avance à la Semaine, pour notre séance de visionnage. J’ai vu que les films de l’ONF étaient là et j’ai commencé à les regarder, seul. Et je me souviens très bien de ce long travelling latéral qui ouvre le film : une interminable succession de bagages et soudain l’apparition d’une femme un peu frêle et même temps très élégante. Elle est sur un quai de gare, dans l’attente d’un train. Et quand le train arrive, du fond de l’image, c’est un tonnerre de bruit, de vent, qui ébouriffe et bouscule cette femme. Après un tel début, je n’espérais qu’une seule : que le film continue sur cette lancée. Ce qu’il a fait.

Sinon, en tant que spectateur, je dirais sans doute Père et Fille de Michael Dudok de Wit, parce que c’est un film très sensible sur l’attachement d’une fille à son père, dans la vie et par-delà la vie.

Voilà, en même temps, si nous refaisons l’interview dans un mois, je suis sûr que d’autres films viendront à mon esprit. Tout simplement, parce que c’est une découverte permanente !

S’il ne devait rester plus qu’un seul court métrage, quel serait votre choix ?

 

Tout dépend si je me place en tant que spectateur ou en tant que sélectionneur !

Un message pour l’équipe de “Croq’Anime” ?

 

Honnêtement, je n’ai pas de message ; ce serait trop prétentieux ! Le mieux, c’est de continuer les actions que nous menons les uns et les autres, les uns associés aux autres aussi, pour défendre le cinéma d’animation que nous aimons. Mais je serais aussi tenter de dire : le cinéma tout court.

“Croq’Anime” permet, en tout cas, au public, de croquer à pleines dents dans un cinéma d’animation, tout aussi ludique qu’exigeant, et de croquer, qui plus est, dedans gratuitement. En temps de crise, c’est un engagement militant que je trouve fort et qui demande à être soutenu, parce que défendre l’accès à la culture, c’est défendre un droit vital ! 

bottom of page