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Critique de Palmipedarium de Jeremy Clapin

05 juillet 2013 | Paul Bourel

 

Dur dur d’être un canard.. Mais il est encore plus difficile de le devenir.
 

Palmipedarium est  une fable sur l’enfance, le réel, la différence, le rêve même. Il faut dire que son réalisateur Jérémy Clapin n’en est pas à son coup d’essai. Fort de  la poésie qu’il a su insuffler à ses deux précédents courts métrages : un amour vertébrale en 2004 et Schizhein en 2008 , Il nous fait ici voyager dans un univers champêtre et marécageux, humide et brumeux, baigné d’une sombre clarté végétale.

 

Le Lien du court métrage sur Arte +7 ICI

 

Dès la première minute, le décor est planté en quelques plans bien sentis : une maison isolée au milieu des champs, à proximité d’un étang peuplé  de nombreux canards. C’est là que vivent Simon et ses parents. Simon est un petit garçon un peu tristounet et solitaire. Coincé entre le fusil de son chasseur de père et les jupons de sa gentille maman, il se prend à rêver. Ses seuls amis sont les canards justement : canard à roulette qu’il traine derrière lui dans le jardin pour échapper à l’ennui, canard en plastique pour jouer dans le bain,  canards sauvages en chair et en plume qu’il nourrit à leur faim. Mais voilà, comme papa, Simon doit s’initier au noble art de la chasse. Sa relation avec les volatiles va se transformer peu à peu...

 

 

 

 Le réalisateur s’arrête avec finesse sur le rite de passage de l’enfance à l’âge de la maturité au travers de plusieurs scènes porteuses d’une forte valeur symbolique : Il nous donne à voir le jeune garçon essayer pour la première fois sa veste de camouflage sous l’œil sévère de son père ; ce dernier lui enfonçant maladroitement un chapeau sur la tête avant de l’emmener chasser avec lui ; ou encore une scène particulièrement éloquente dans laquelle, Simon , caché derrière une hutte, souffle énergiquement dans un appeau pour attirer les oiseaux naïfs dans le viseur de son paternel. 

On sent pourtant que le chasseur en herbe n’est pas dans son assiette après cette première expérience. Tout le film est d’ailleurs empreint d’une atmosphère très mélancolique, seulement rythmée par quelques notes de piano qui s’égrènent au gré des hésitations de Simon.  Il doute et ce doute se matérialise sous la forme d’une créature bizarre, mirage issu de son imagination remplie de caquètements. Car Palmipedarium est une chimère grotesque, un obstacle entre l’enfance innocente du petit homme et le cynisme du monde des adultes. Le vilain gros canard débarque dans l’histoire comme un pavé dans une mare, nous arrachant un sourire au passage tant son entrée en scène est burlesque. Dressé sur ses échalas, cet être fabuleux est immense : Cou gigantesque, pattes et ailes atrophiées, bec gris et tordu d’où s’échappe de temps à autre un cri dissonant. Cependant, une lueur de douceur brille au fond de ses yeux globuleux. Il est impossible d’y être insensible, Jérémy Clapin le sait bien.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cet être fantasmé a un rêve lui aussi : ressembler à un canard, un vrai. Avoir un bec coloré, des plumes et des pieds palmés, plus encore, s’envoler avec les siens vers des climats plus cléments. Un lien ambigu se forme alors entre les deux personnages : Simon aide son cauchemar à réaliser son rêve pour pouvoir s’en libérer : Afin de devenir chasseur, il doit l’aider à devenir canard… C’est ce doux paradoxe que le réalisateur  met habilement en scène dans la deuxième partie du court-métrage. Pinceau dans une main, paire de palmes dans l’autre, Le garçon transforme cette créature  comme si c’était son jouet. Il pousse même le vice jusqu’à l’encourager à prendre son envol. L’étrange oiseau court, court, court vers la forêt en agitant ses petits bras remplumés dans l’espoir de décoller. Vue plongeante, contre-plongée, l’auteur nous fait osciller entre rêve et réalité, optimisme et désillusion. On se laisse porter par les sublimes images de prairie verdoyante survolées par les canards sauvages, ombres poétiques que le palmipède aspire tant à rejoindre.

 

C’est le dernier geste du petit Simon qui offre toute la quintessence du film. On est dans l’expectative: est-ce le signe du  dépassement de son cauchemar, l’exorcisation de ses démons cancanant ? Ou au contraire, est-il rattrapé par son éducation de chasseur en herbe qui lui commande de tirer sur cet animal sans défense, comme ça, juste pour le challenge ? L’auteur nous laisse le choix. Quant à moi, j’aime me dire que le microcosme présenté dans ce superbe court-métrage est une allusion masquée à nos propres contradictions : Quel que soit l’attention ou l’amour qu’on a pu y porter, à chaque fois que quelque chose ou quelqu’un nous échappe, il est terriblement tentant de lui tirer dans le dos. Heureusement, dans Palmipedarium, c’est pour de faux.

 

Produit en 2012 par Papy 3D, ce conte contemporain a déjà reçu 6 récompenses dans le cadre de festivals internationaux (Bruxelles, Utrecht, St-Péterspourg… ) et ce n’est qu’un début : Les canards de Palmipédarium ont encore de beaux jours devant eux ! 

 

 

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