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Entrevue avec Isabelle Vanini

03 mai 2013 |

Isabelle Vanini, programmatrice extraordinaire au Forum des Images, a généreusement accepté de se prêter au jeu de l'interview pour les Carnets de Croq'Anime. Elle inaugure ainsi la série des interviews dédiées à des personnalités de l'animation qui viendront régulièrement nourrir le blog. Au cours de ces entretiens, nous demanderons à nos invités d'évoquer leur vision du cinéma d'animation, du court métrage, mais aussi de parler de leurs projets, de leurs parcours, etc.

Notons qu'Isabelle Vanini présente actuellement au Forum, du 2 mai au 30 juin, avec l'aide de Laurence Briot, un cycle de projections autour des amours interdits, intitulé Défense d'Aimer, qui fera l'objet d'un article ultérieur et sera accompagné d'un compte rendu de son avant-première, à laquelle l'équipe de Croq'Anime a assistée (le 2 mai 2013) !



​Bonne lecture !

 

D’où la passion du cinéma d’animation vous est-elle venue ?


Cela fait 18 ans que je travaille au Forum des Images. En 1999, le Forum a créé les Rendez-vous du cinéma d’animation. Je ne connaissais pas plus que ça à l’époque, mais j’étais curieuse d’apprendre, alors j’ai proposé de m’occuper du RDV. Les Rendez-Vous étaient mensuels, on recevait une personnalité imminente de l’animation. En quelques années, j’ai donc vu la plupart des grands classiques et j’ai rencontré, dans l’élan, les grands maîtres du cinéma d’animation français et internationaux.


Mais comme on n’avait pas l’automatisme de filmer les rencontres à l’époque, on n’a pas gardé de traces – certains cinéastes sont décédés depuis (Pappé, Laloux, Rouxel). On le regrette beaucoup …


Pour l’anecdote, à la fin de mes études de cinéma, j’ai fait un stage chez Olivier Champeaux, fils d’Albert Champeaux (qui a créé le personnage animé du petit mineur pour Jean Mineur), qui a repris les rênes des studios d'animation. J’ai rencontré le réalisateur d’origine polonaise Julien Pappé. Qui fut le premier invité des Rendez-Vous ! Destin ?!


On fait  souvent une échelle de valeur entre le cinéma de prise de vue réel et le cinéma d’animation. Mais on voit pourtant des réalisateurs de prise de vue réel se lancer dans le cinéma d’animation (Patrice Leconte avec le Magasin des Suicides, Steven Spielberg avec Tintin). Pourquoi, selon vous ? Quelles opportunités esthétiques ou même techniques le cinéma d’animation présente-il ?


L’hybridation est de plus en plus forte : on trouve du cinéma d’animation dans la prise de vue réelle et inversement. Les frontières se troublent et les divers types de cinéma s’interinfluencent. Cependant, j’appelle plus cinéma d’animation les courts métrages indépendants, de créateurs, qui proposent un regard singulier, un univers.
Et puis un film d’animation est avant tout un film – l’animation étant une technique au service d’une oeuvre. Il y a une forte donnée plastique, selon moi, qui est importante. Quant à une échelle de valeur, il n’y a pas de débats : au même titre que le réel, l’image animée est un medium que certains artistes ont choisi, car il était en accord avec leur sensibilité, pour raconter des histoires, véhiculer des émotions …


Marcel Jean, au cours d’une récente interview accordée à Zewebanim, déplorait le manque d’écrit critique ou théorique sur le cinéma d’animation, qu’en pensez-vous ?


C’est assez remarquable en effet (rires) ! Les critiques semblent ne pas arriver à critiquer le film d’animation ! Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Le forum avait d’ailleurs organisé un événement à ce sujet, invitant des critiques à discuter le cinéma d’animation. Xavier Leherpeur fut le seul à accepter. Seulement voilà : le cinéma d’animation partage pourtant avec le cinéma de prise de vue réelle le même langage cinématographique. Le blocage est réel, quant à sa solution …


Comment vous viennent les idées qui nourrissent vos cycles, comment faites-vous vos choix ?


C’est un long processus. En général, tout ça se passe d’abord par une réunion collégiale. On cherche  des thèmes où le cinéma et la société sont susceptibles de se croiser. On essaye de créer des saisons qui soient colorées, qui offrent un large éventail de couleurs (sociologiques, cinéphiliques, légers, portraits de villes). Les choix de programmation dépendent beaucoup de leurs programmateurs : moi, j’aime beaucoup le film d’animation, donc je serais tenté de programmer plus de films d’animation que ma collègue qui est plutôt western, etc. L’essentiel, c’est d’avoir un corpus éclectique d’œuvres. Mais à chaque nouveau thème, on essaye d’apporter de nouvelles références, à stimuler de nouvelles rencontres.


Pour le cycle Défense D’aimer, on s’y est pris 6 mois à l’avance ; tout le monde a cru qu’on avait préparé notre coup, mais on n’avait pas du tout anticipé les mouvements sociaux de ces derniers mois ni la sortie du livre de Marcela Iacub sur l’affaire Strauss Khan, lorsqu’on l’a invitée à parler des « Politiques de l’amour ».


Regardant le cycle que j’ai monté en 2011 sur les Documentaires Animés : Vrai ou Faux, j’avais pressenti, au cours de divers festivals auxquels je m’étais rendue, une nouvelle vague, un engouement pour ce genre. J’avais déjà pas mal d’idées sur le sujet, de notes – je me fais toujours des dossiers en amont, lorsque je sens une programmation possible. C’était le bon moment, et je pense que ça a initié de belles rencontres et des discussions intéressantes entre les cinéastes. On m’en parle encore aujourd’hui …


Quelles qualités sont-elles requises dans le métier de programmatrice ?


Il faut avoir une solide culture cinématographique et écumer les festivals pour repérer les tendances. Être au fait de l’actualité, pour flairer le bon moment où initier tel ou tel cycle est important aussi, mais l’essentiel c’est surtout d’avoir envie de partager ses expériences cinématographiques, d’organiser des rencontres entre le public et les œuvres, et ainsi favoriser des discussions, des émulations …



Peut-on parler d’un amour cinématographique ? Le cinéma influence-t-il, façonne-t-il notre vision de l’amour ou de la vie ?



En ce qui me concerne, oui. Plus que la littérature encore, le cinéma a contribué à mon apprentissage de la vie et des sentiments. Bergman m’a appris à questionner mon rapport à l’amour, certains films m’ont « sauvé la vie ». On vit plein de vies grâce au cinéma. Bergman, Tarkovski, Lynch sont un peu les grands cinéastes de ma vie …


Dans le cadre de l’une de vos projections consacrées à des villes, vous aviez choisi Moscou-Saint-Petersbourg. Pourquoi le cinéma russe ?


Cela remonte à mon travail auprès de la Cinémathèque française. J’appartenais alors à l’équipe de Vincent Pinel chargé de l’archivage des copies déposées ; on devait s’occuper des anciennes pellicules, c’était plutôt dangereux, quand on ouvrait les boites, les pellicules étaient en décomposition, certaines menaçaient d’exploser (rires) ! Puis on nous a transféré sur les nouveaux dépôts, qui étaient forcément moins intéressants. Au même moment j’ai appris qu’on recherchait quelqu’un pour s’occuper du fond soviétique Sovexportfilm ; personne ne voulait le boulot : il y avait plus de 2000 copies à inventorier, il fallait apprendre le cyrillique. J’ai pris le risque et j’ai adoré.


Vous avez eu la chance d’accueillir au Forum, en 2012, Youri Norstein pour un hommage au célèbre marionnettiste japonais et ami du cinéaste russe, Kihachirō Kawamoto. Ce fut un événement, au vue de la médiatisation pour le moins discrète du personnage. Pouvez-vous nous parlez de votre affection pour son œuvre, de ce qui fait, selon vous, son consensus dans le métier ?


Youri Norstein a le charme du mystère, c’est inexplicable ; que ses courts métrages soient naïfs, comme Le Hérisson Dans le Brouillard ou obscurs comme Le Conte des Conte, il parle à notre cœur d’enfant. Il y a évidemment cette âme slave, qui est réelle, très ambigüe car à la fois mélancolique et joyeuse : on chante, on boit, l’ambiance est chaleureuse mais l’ivresse est grise.


Et puis Norstein est un vrai poète visuel ; on voyage successivement dans des tableaux superbes, chaque seconde est un bijou ; on oublie d’ailleurs souvent que c’est la femme du réalisateur qui est à l’origine des dessins. La manière de raconter de Youri Norstein est aussi très particulière, elle parvient à extraire des émotions leur universalité, chaque image touche juste et vous chamboule, un peu comme les vers d’un poème.


Comment expliquer une production si restreinte, qui cumule moins de 2 heures mise bout à bout ? Et Le Manteau, des nouvelles ?


Youri Norstein est avant tout un perfectionniste ; il a réalisé de tels chefs d’œuvres qu’il craint peut-être de faire moins bien et puis il a une histoire très particulière. Après l’URSS, il a eu du mal à se faire financer. Il a notamment ruiné plusieurs producteurs français qui avaient investi sur son film Le manteau d’après Gogol, toujours en réalisation depuis plus de 30 ans maintenant ; des producteurs japonais ont repris le flambeau récemment, alors qui sait …


Pouvez nous nous parler de votre collection de films mettant en scène la ville Paris ?


A l’origine, le Forum des Images s’appelait la Vidéothèque de Paris. L’idée, c’était que Paris change et qu’elle change irrévocablement vite ; il nous est apparu nécessaire de conserver sa mémoire audiovisuelle. Vous savez, il y a beaucoup de films mettant en scène Paris, tous genres confondus. A l’heure où je vous parle, la collection compte plus de 5000 heures d’images.


En animation, on trouve (Emile Cohl, Jean Image, Jan Lenica,  Henri Gruel, Martin Boschet, Garri Bardine, Jean-Manuel Costa, Serge Elissalde, Sébastien Laudenbach,...). La particularité de Paris dans les films d’animation, c’est que la ville est souvent peu reconnaissable ; elle est souvent fantasmée, déconstruite pour être recomposée en adéquation avec l’univers du réalisateur, il ne reste alors à l’écran que quelques symboles ou signes comme le style haussmannien des appartements pour nous rappeler que nous sommes bel et bien dans Paris. Parfois les réalisateurs s’étonnent d’être sélectionnés, comme Sébastien Laudenbach pour son film Journal dans lequel on aperçoit des manifestations qui évoquent Paris. Pour nous, c’est suffisant (rires) ! Il faut enfin déplorer la faible quantité de films d’animation mettant en scène Paris.


Comment avez-vous connu Croq’Anime ?


Il y a presque deux ans, on m’a présenté Sylvie au Forum des images, elle était présente pour une projection. J’ai appris qu’elle organisait des séances où elle demandait à des professionnels ou des passionnés d’animation, comme Alexis Hunot, d’évoquer leurs goûts, leurs réflexions sur le sujet. J’ai trouvé le principe sympa.
Puis un jour je me suis rendue à une porte ouverte à Croq’Anime pour voir les productions de l’atelier d’initiation à l’animation, qu’animait alors Florentine Grelier, une connaissance commune à Sylvie et moi-même.
La même année, je me suis rendu au festival en tant que spectatrice. Et j’ai aimé.


Lors de l’édition 2013 du Festival du Rendez-vous du Film d’Animation de Paris, vous animerez une séance de projection centrée sur le thème de la Femme. Peut-on parler d’une ligne féminine, d’une patte féminine dans le cinéma d’animation ?


Selon moi, il y a indubitablement une patte féminine dans le cinéma d’animation. C’est ce que je compte prouver et défendre dans le cadre de ma projection. Les femmes cinéastes ont clairement un regard différent de celui des hommes: les thèmes abordés, leur façon de les aborder, que ce soit dans la narration ou les images, oui, c’est évident. Peut-être plus qu’en littérature. Ru de Florentine Grelier est un film où on est vraiment dans la tête d’une femme, avec les questions qu’elle peut se poser sur le couple ; et dans le film Des Câlins dans les cuisines de Sébastien Laudenbach, la superbe séquence de la montée du désir dans le film est du point de vue de l’homme (bien qu’animé par une

femme !).​


Y-a-t-il une parité hommes-femmes à la réalisation ?


De manière général, il y a  plus d’hommes à la réalisation que de femmes, mais en films d’étudiants, il me semble que c’est plus équilibré. Mais les femmes réalisatrices compensent ce déséquilibre avec de très belles productions (rires) ! Regardez, deux années de suite, au festival de Bruz, les films primés ont été réalisées par des femmes (La douce d’Annick Larricq en 2011, et Agnieszka, Izabela Bartosik et  Les morceaux d’amour Géraldine Alibeu, ex aequo en 2012) !


Qu’est-ce qui vous a convaincu d’animer cette séance ?


J’ai l’habitude de préparé des dossiers en amont sur des thèmes que je juge pertinents, récurrents ou que j’affectionne. Or il s’avérait que j’en avais préparé un sur le thème de la Femme en animation, alors quand j’ai appris que le festival aurait pour thème la Femme, j’ai jugé qu’il était le bon moment pour mettre à profit mes recherches.


Et puis il y avait cette envie de faire découvrir au public de Croq’Anime, plus néophyte, un très large éventail d’œuvres originales, allant de l’érotique au film traitant de la maternité, au travers d’un parcours de vie féminin : l’enfance, le premier amour, la première fois, la maternité, la mort aussi. L’émancipation de la femme sera par exemple l’un des sous thèmes que j’aborderai durant mes projections.


Pour finir, un court métrage animé qui vous a marqué ?


Père et fille de Michael Dudok de Wit. C’est, à mon sens, un vrai modèle de court métrage animé réussi : court et simple, les dessins sont sobres, en noir et blanc, mais qui est si fort émotionnellement … c’est peut-être car il parvient, en toute simplicité, à évoquer une vie avec justesse.


Un message d’encouragement pour Croq’Anime ?


Je suis très admirative du travail de Sylvie à Croq’Anime : soutenir un public nouveau, lui faire découvrir le cinéma d’animation, tout son travail au sein du quartier de Ménilmontant …  C’est une femme passionnée et enthousiaste, elle déménage des montagnes avec peu de moyens, sa force de conviction est incroyable.


Bon courage pour la préparation du festival 2013, j’ai hâte d’y être !

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