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Entrevue avec Olivier Fallaix d'Animeland

25 mai 2013 | Alexis Rosier

Olivier Fallaix, anciennement rédacteur en chef du magazine Animeland, professionnel de l'audiovisuel depuis déjà 20 ans et passionné, de la première heure, de la culture animée nippone, a gentiment accepté de répondre à nos questions.



Au programme, une entrevue fortement dédiée à l'animation japonaise, son impact sur la culture française, l'historique de ses diverses évolutions en France, ses ressorts esthétiques et une jolie filmographie en perspective !



Vous trouverez toutes les informations nécessaire au sujet du magazine Animeland, à cette adresse.



Bonne lecture !

Vous étiez, jusqu’au début du mois d'avril, rédacteur en chef du magazine Animeland. Carla Cino et Nicolas Penedo vous ont depuis succédé. Serait-il encore possible, pour un groupe de jeunes passionnés, de monter un fanzine tel qu’Animeland au regard de la conjoncture journalistique moderne ?



Les conditions ne sont plus du tout les mêmes aujourd’hui en raison d’internet, qui est le principal concurrent de la presse papier. L’actualité tombe maintenant à la minute, alors monter un fanzine papier avec tout ce que cela sous-entend de tâches (écrire, corriger, publier, distribuer), sans compter l’inertie de plusieurs jours à quelques semaines, qui conduit à une information défraichie, cela n’aurait plus du tout d’intérêt. A cela s’ajoute l’accroissement de la diffusion de  l’animation japonaise dans les médias, la concurrence en un mot, qui augmenterait considérablement la difficulté pour se faire une place dans les relais médias. On compte en effet aujourd’hui un tel nombre de blogs, de sites spécialisés et de chaînes … Mais admettons que l’on devrait repartir aujourd’hui, nous viserions clairement le web.



Quel a été le déclencheur de la professionnalisation d’Animeland ?



Nous sommes restés 5 ans à l’état de fanzine, distribuant entre 100 et 200 exemplaires, que nous allions nous-mêmes, à la main, livrer individuellement dans les boutiques ; puis, progressivement, nous sommes passés à une distribution avoisinant les 10 000 exemplaires, que nous devions encore placer dans les boutiques et dont nous devions nous-même gérer les abonnements. C’était devenu ingérable, c’est pour cette raison que nous avons passé le cap de la professionnalisation. Le fondateur, Yvan West Laurence, a alors démissionné de son travail pour se consacrer entièrement au magazine. On a vite été soulagé de la partie distribution, ce qui fut décisif. Un projet qui aurait l’ambition d’être monté aujourd’hui devrait être professionnel dès son origine et aurait la tâche difficile de convaincre un financeur de croire en lui. Il faut savoir qu’Animeland appartient encore aux actionnaires qui ont fondé le magazine et non pas à un groupe de presse. Cette indépendance est un luxe, surtout à l’heure actuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



A combien s’élèvent vos tirages, aujourd’hui ?



Depuis plus de 10 ans, les tirages d’Animeland oscillent entre 40 000 et 50 000 exemplaires par mois. C’est un tirage important, compte tenu que nous visons un marché de niche. Nous sommes la référence dans le domaine et bien que ce ne soit pas toujours aisé, en raison de la crise qui touche la presse écrite, nous faisons de notre mieux pour maintenir un haut degré de qualité. Internet est notre principal concurrent, car il donne aux consommateurs la fausse impression d’avoir tout gratuitement et plus rapidement. C’est pourquoi cela appelle à sans cesse renouveler le magazine, à s’adapter.



Quelles sont les stratégies que vous mettez en œuvre pour lutter contre l’hégémonie d’internet ?



Nous nous jouons de notre délais, qui est d’un voir deux mois de retard par rapport aux sites internet. Il n’y a pas de fatalité, ce retard n’est non plus si handicapant que ça, il permet au contraire d’avoir du recul sur l’information et ainsi de proposer l’actualité sous un angle inédit. Nous pensons ainsi nos dossiers, nos interviews, nos analyses en privilégiant le fond, l’investigation, en peaufinant l’écriture. Et puis Animeland a également de l’expérience dans la rencontre des auteurs, il offre des analyses du marché et des œuvres inédites et pertinentes, ce qui est assez rare sur internet.



Nous ne faisons pas non plus que lutter contre internet, nous l’utilisons pour suppléer à notre magazine. Notre site internet nous sert à desservir l’actualité à chaud, bien que pendant longtemps, nous ayons refusé de la relayer, pensant à tort que cela faisait concurrence au magazine. Sauf que nous nous sommes rendu compte que tout le monde le faisait, qu’il était d’avantage intéressant d’offrir aux gens ce qu’ils désiraient, tout en leur suggérant, s’ils souhaitaient en savoir plus, d’acheter le magazine.



Animeland existe maintenant depuis un peu moins de 20 ans. Comment le journal a-t-il évolué durant toutes ces années ?



A son origine, Animeland s’est donné pour thématique l’animation pour adulte. Sauf qu’il faut se remettre dans le contexte de l’époque : quand on parlait d’animation, il y a plus de 20 ans, les deux mots qui nous venait à l’esprit, c’était Disney et Enfant. L'animation japonaise envahissait la télévision, mais les séries étaient décriées, incomprises voire fustigées par les parents et les critiques, en particulier en ce qui concerne les japanim. Beaucoup de préjugés circulaient, car les personnes qui diffusaient ces animations les mélangeaient avec des dessins animés pour enfants. C’était le grand quiproquo de la télévision !



Animeland est né de la volonté d’écrire un article pour expliquer que l’animation japonaise n’était pas si mauvaise, que la version française ne rendait pas justice à la version originale. Et c’est à partir cet article, qui devait être publié par une association de défense des droits des téléspectateurs, les Pieds dans le PAF, qui ont finalement refusé l'article, qu’est né Animeland.



Parliez-vous alors de l’animation occidentale ?



Oui, bien sûr. Nous avions, par exemple, écrits des articles sur l’animation tchèque, entre autres. Animeland fut l’un des premiers fanzines à parler du plagiat du Roi Lion en 95, à une époque où personne n’en parlait encore. Nous fûmes également l’un des tout premiers magazines à faire une couverture avec un Pixar. Mais l’animation japonaise était ce que nous aimions tous le mieux et c’était là qu’il y avait le plus à défendre.



D’où ce virage en 2005 ?



Animeland s’est professionnalisé et entre temps le marché de l’animation japonaise a explosé en France avec notamment les premières publications de mangas traduits en français dans les années 90. Animeland a voulu accompagner cet engouement. Il faut dire aussi qu’Animeland a toujours été affilié au Japon, bien qu’il ait toujours aborder d’autres sujets, comme les comics.



Puis en 2005, Animeland a traversé une crise identitaire. Le magazine était devenu un fourre-tout : japon, japanim, comics, animation occidentale … Il n’avait pas évolué depuis 10 ans, il nous fallait le repositionner. En interrogeant nos lecteurs, nous nous sommes vites aperçus qu’ils étaient quasi unanimement intéressés par l’animation japonaise. Ça a été le fruit d’une longue réflexion, au point que le rédacteur en chef de l’époque m’a cédé sa place, car il voulait voir se poursuivre Animeland mais n’adhérait pas à ce virage.



Alors qu’Animeland fut pendant 15 ans notre seul et unique magazine, d’autres publications ont été lancées depuis, comme Japan Life Style, un magazine féminin, où Role Playing Game, un magazine consacré aux RPG asiatique. Animeland XTRA-KID est né, aussi. Le marché de l’animation japonaise a tellement explosé, que balayer comme on le faisait de la série pour enfant au film d’auteur était devenu impossible à tenir, d’où notre recentrement.

 

Parlons de vous. Pourquoi ce surnom de Gotoon ?



Quand j’ai monté un service de minitel dédié à l’animation en 1992, qui s’appelait à l’époque 3615 Toon (rires) !, il a fallu que j’invente un pseudonyme. Or, c’était l’âge d’or de Dragon Ball Z sur les ondes et mon surnom devait forcément contenir le mot Toon. Vous voyez ou je veux en venir ! J’ai pensé à San GoToon, qui donna plus tard Gotoon. Puis quand j'ai gardé ce pseudonyme pour signer des travaux graphiques.



Vous avez été animateur radio, minitel, télé, journaliste et même directeur de collection à votre propre compte. Au regard de votre expérience richissime dans le milieu de l’audiovisuel, que pensez-vous de la place de l’animation dans les médias aujourd’hui, par rapport à il y a 20 ans ?



Les choses ont beaucoup changé, l’animation a pris une place de plus en plus importante dans ces médias. A la télévision, beaucoup de séries d’animations pour adultes sont non seulement diffusées aujourd’hui à des créneaux horaires de diffusion qui n’entrent pas dans la case jeunesse, mais également à des heures où d’autres chaines diffusent des séries américaines (One Piece est en prime time sur D17).Le long métrage a aussi de plus en plus sa place, bien plus que le court, qui reste encore majoritairement peu médiatisé. Depuis peu, on en voit de plus en plus qui passent à l’antenne à 8h : les DreamWorks, etc et il n’y a pas si longtemps, l’animation tournait avec Astérix et Lucky Luke, les jours fériés ou durant les fêtes de Noël.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 

 

 

 

 

Ces films ne jouissent pas d’une grosse distribution, mais ils ont de la visibilité : il existe une copie, on peut acquérir ces films en vue de festivals. On est par exemple assuré d’avoir 6 mois après sa sortie au japon un Miyazaki – la France est la mieux placée au monde. Mais je ne veux pas non plus dresser un tableau idyllique. Les complexes et les gros réseaux de distributions boudent encore l’animation : même un film comme One Piece peine à trouver sa place dans leurs salles obscures, alors que c’est le mangale mieux vendu en France.


Et le court métrage ?



Cela fait longtemps qu’il n’a pas de visibilité. Cela fait longtemps qu’il n’a pas de visibilité. Heureusement, certaines petites sociétés de distribution (Les films du préau, du Whippet, Folimage, Cinéma Public Films) réalisent des compilations de courts qui sortent ainsi au cinéma. Toutefois, ils sont souvent destinés aux enfants,



On a clairement de jolies œuvres qui sont produites, mais elles font généralement peu d’entrées, car elles ne sont pas mises sous le feu des projecteurs ; et les entrées sont alors trustées par les blockbusters. De toute manière, c’est le problème du cinéma en général.



Votre parcours semble avoir évolué en accord avec deux domaines : la musique et l’animation. La musique en animation tient-elle une place importante à vos yeux ? Et plus généralement ?



La musique tient certainement une place importante dans l’animation et d’avantage dans l’animation japonaise. Il existe, au Japon, des doubleurs spécialisés dans le doublage de l’animation : les Saiyus. Cette dernière accuse certains défauts, dû à un manque de moyens. Dans les années 60, les Japonais ont inventé des techniques pour économiser la production de l’animation au maximum. Pour compenser ces faiblesses, les animateurs ont inventé plusieurs artifices, en particulier dans la mise en scène et les sons, la musique.

Les réalisateurs japonais se sont souvent offert des orchestres symphoniques, même dans les productions télévisuelles, comme Saint Seiya (Les Chevaliers du Zodiaque). Ont alors émergé des compositeurs qui sont aujourd’hui devenus cultes : que serait un film de Hayao Miyazaki sans les compositions de Joe Hisaishi ou Cowboy Bebop sans la musique jazzy de Yoko Kanno ? Certains films ont gagné la notoriété qu’on leur connait autant par leur musique que par leur mise en scène.



En ce qui me concerne, j’ai découvert, dans les années 90, que les bandes originales sortaient dans le commerce, au Japon. Je m’y suis intéressé. J’ai découvert certains grands compositeurs français, aussi, comme Michel Legrand, le compositeur des séries, Il était une fois l’espace/la vie. J’ai vraiment franchi le pas au milieu des années 2000, quand j’ai monté une maison de disque appelé Loga-rythme, qui jouait sur le côté nostalgique des génériques, mais aussi des bandes originales, que nous éditions alors.



Malheureusement, cette qualité musicale s’est peu à peu perdue à partir des années 90. Enregistrer des musiques avec des orchestres, à l’époque des synthétiseurs et de la conjoncture économique actuelle est une autre affaire. Et je ne parlerai pas des chaînes de télévision qui ne veulent plus de thèmes identifiables.



Poursuivons sur la musique. Quels rapports entretiennent la composition musicale et l’animation ?

 

La France est le premier pays occidental consommateur de mangas. Comment expliquez-vous un tel engouement ?



La télévision en est la source : l’animation japonaise est rentrée par la petite lucarne à la fin des années 70 avec Goldorak et n’en est, depuis, plus jamais ressortie. Deux vagues ont suivis : la première portée par des œuvres telles que Capitaine Flam ou Candy et la seconde par des titres tels que Dragon Ball Z ou des émissions comme le club Dorothée. Elles ont amené l’animation japonaise à la télévision à une époque où il y avait peu de chaine, injectant un peu de culture japonaise dans l’imaginaire commun de toute une génération. Si l’on avait entre 12 et 16 ans à cette époque, on a forcément vu ces séries et été imprégné par leur esprit.



Il faut savoir qu’à la fin des années 90, il y a un mouvement inverse : le japanim a disparu des grandes chaînes. France télé a notamment tenu un positionnement anti japonais. Puis Canal + l’a réintroduit avec Neon Genesis Evengelion, prenant une posture inédite jusqu’à alors, qui consistait à assumer le choix et le présenter comme destiné à un public adulte. Ce fut accompagné par l’essor de Miyazaki au cinéma. Les enfants des années 80 étaient devenus adultes et ils ont aimé cela. De fil en aiguille, aux alentours des années 2000, le manga est arrivé en France. Il n’y a pas de surprise : si le manga s’est installé en France, en Espagne et en Italie, et pas en Allemagne et en Angleterre, c’est que ces trois pays ont connu, dans les années 80, les vagues de séries japanime dont nous avons parlé précédemment.



Peut-on considérer que l’essor des jeux de rôle asiatiques dans les années 2000, suivi de la démocratisation de la culture geek ces dernières années, a contribué à l’essor de l’animation asiatique en Occident ?



Clairement. La reconnaissance et l’essor de l’animation japonaise fait partie de la reconnaissance de la culture geek. Et si cette culture est si reconnue aujourd’hui par les médias, que certaines chaînes se sont spécialisées dans cette voie-là, c’est parce que leurs décisionnaires sont des enfants de la génération 80, quand auparavant, les décisionnaires étaient des personnes étrangères à cette culture qu’ils connaissaient mal.



Peut-on dire que le jeu de rôle a popularisé, auprès d’un public néophyte à l’animation, le japanime ?



Oui, car ces univers se rejoignent plus que jamais aujourd’hui. Mise à part le fait que les personnes qui travaillent dans les jeux-vidéos aient grandi avec les séries japonaises, il arrive souvent que ces mêmes personnes fassent appel à des auteurs d’animation pour leurs jeux. Akira Toriyama, l’auteur de Dragon Ball Z, a conçu également le jeu Chrono Trigger et Dragon Quest, l’un des RPG asiatique les plus réputé. Au même titre qu’ Yoshitaka Amano, le designer de Final Fantasy, a travaillé dans l’animation.

Ce sont deux univers, qui étaient parallèles dans les années 80/90 en raison de problématiques techniques, mais qui sont aujourd’hui connexes, ce qui est aussi le résultat d’une tendance que l’on observe dans les médias : le transmédia. Aujourd’hui, un projet d’animation est souvent décliné en bande dessinée, en jeux-vidéo, ses graphismes sont pensés pour faire cohabiter tous ces supports. Le marketing n’est pas sans jouer son rôle, aussi : quand on joue à des RPG, on est forcément tenté de lire le manga qui développe son univers, de jeter un œil à l’adaptation animée qui enrichit l’intrigue de l’un de ses personnages secondaires, etc. Cela existe depuis plus de 20 au Japon et les américains, aujourd’hui, ont pris le pas sur ces tendances. Pensez à la série Dragon Age ou Mass Effect et leurs adaptations animées ...

Comment expliquez-vous cela ?



L’animation est devenue un moyen de divertissement comme un autre. Avec des films à différents degrés de lecture, tous les membres de la famille sont susceptibles de se divertir, alors qu'avant, accompagner les enfants, le dimanche, voir un film d’animation était la corvée familiale ! Et puis il y a 20 ans, les dessins animés étaient en journée et sans séance en VO.



La richesse en France du cinéma d’animation est à ce titre remarquable ! On compte bien 30 à 40 films d’animation en moyenne qui sortent chaque année au cinéma en France. Si on met à l’écart toutes les grosses productions, on a aussi de vraies perles comme Zarafa, Le Jour des CorneillesCelestine qui sont parfois de gros succès en plus, faisant jusqu'à un million d’entrées. On a aussi des films beaucoup plus complexes, dont Valse avec Bashir est un bon exemple. 

 

Je dirais qu’il y a beaucoup d’exemples où la musique et l’animation ont été de pair, comme Fantasia. Ces films musicaux où les animateurs ont travaillé sur la musique sont très nombreux. Prenez l’exemple de Hayao Miyazaki, dont la fusion avec son compositeur est unique. Dans le cas d’un long métrage, il faut savoir que la musique est réalisée à la toute fin : le compositeur voit le film, puis il compose sa musique dessus. Miyazaki, au contraire, donne des indications à son compositeur en amont de la réalisation. Il l’invite à composer des thèmes sur la base de dessins, d’ambiance, de situations qu’il lui décrit. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle deux albums sortent toujours pour ses films : l’image album et le soundtrack. L’image album, Miyazaki l’écoute lorsqu’il réalise son film et son équipe d’animateur également, ce qui contribue à créer une synergie créatrice entre les différents artistes, à insuffler un mouvement analogue dans la ligne, dans la façon dont bougent les personnages. Et parfois, il arrive que certains thèmes de l’image album deviennent des thèmes principaux du film.

D’où vous vient cette passion pour l’animation japonaise ?



J’ai grandi avec Goldorak. Ce qui m’a d’abord plu, ce sont ces histoires, souvent plutôt adultes et extrêmement bien racontées. Entre Cobra, Rémy sans famille, Juliette je t’aime, qui montrait la vraie vie au japon, il y avait une telle palette ! Je trouvais aussi dans ces séries une richesse de narration, de mise en scène et de musique qui me les rendait fascinantes. Le fait que je ne comprenais pas tout ajoutait au charme et m’obligeait à me consacrer sur leurs qualités visuelles et sonores.

Plus tard, j’ai découvert les films de Miyazaki, bien avant qu’ils ne soient projetés au cinéma et ne connaissent la célébrité qu’on leur connait aujourd’hui. Je m’en souviens encore, c’était en 1991, à l’occasion du festival de Corbeil-Essonnes, on nous avait projeté tout le catalogue des Studios Ghibli, traduit à la volée au micro. C’était quelque chose (rires) ! Je découvrais alors qu’il existait un vrai cinéma japonais et qu'il avait 30 ans d'avance sur nous.



Comment définiriez-vous l’esthétique du cinéma d’animation asiatique ? Quelles sont ses qualités par rapport au cinéma d’animation occidentale ?



Le talent, l’ingéniosité je dirais de certains animateurs japonais a été de transformer des faiblesses en des qualités et de palier la qualité moyenne de leur animation par des idées originales de mise en scène à une époque où Disney réalisait ses plus grands chef-d’œuvre, dotés d’une animation parfaite de bout en bout en 24 images par seconde. Les quelques fois où j’ai eu l’occasion d’interviewer des animateurs japonais et de leur questionner au sujet des sources de leurs trouvailles, ceux-là m’expliquaient qu’elles coutaient moins chères, qu’elles facilitaient la réalisation, etc. Ça s’est fait si naturellement ! On trouve d’ailleurs des influences occidentales, voire même françaises, notamment dans la narration. Ce style assez contemplatif, ce rythme lent, c’est très français.



De nombreux clichés circulent sur l’animation asiatique. D’aucuns la disent violente, malsaine et pointe la pauvreté de ses dessins. Pourquoi ?



C’est essentiellement parce qu’on la croit à tort destinée aux enfants. Elle traine encore les clichés des années 80. Quand le genre est arrivé à la télévision, il était consacré aux enfants et les Disneys au cinéma ont fini de le cantonner à la famille. Globalement, ces critiques ont volé en éclats avec l’avènement des séries à plusieurs niveaux de lectures comme South Park et les Simpsons. Les gens ont progressivement pris conscience que ce n’était pas parce qu’il y avait du dessin que c’était destiné aux enfants.

Le décalage culturel a sa part aussi. Les Japonais ont une façon bien à eux de raconter des histoires. Les gens retiennent ce qui les choquent le plus, mais ils oublient que Maya l’Abeille, que Tom Sayer étaient souvent le fruit de ces mêmes réalisateurs dont ils critiquaient la violence dans les films.Et dans les années 80, il faut savoir qu’une même émission passait à la suite un Chevalier du Zodiaque et un épisode de Bisounours. On comprend le choc culturel que ça a été.



Quelles références conseilleriez-vous aux néophytes qui désirent s’initier au genre ?



Sans réfléchir, je dirais Miyazaki ou Ghibli … Isao Takahata, réalisateur du Tombeau des Lucioles, ou de Mes Voisins de Yamada également, qui été cannibalisé par la célébrité de Miyazaki, alors que son cinéma est plus diversifié. Takata se renouvèle plus, car il ne dessine pas et s’entoure de personnes très différentes à chacune de ses réalisations. C’est un metteur en scène dans le sens le plus noble et strict du terme.



Satoshi Kon, qui est décédé il y a quelques années, révélation montante de l’animation japonaise, mérite d’être cité. On le connait notamment pour Paprika, Perfect Blue, des films vraiment hors-du-commun.



Enfin, il y a ce film, Les Ailes d'Honnéamise, un classique des années 80, qui est d’une animation à couper le souffle. D’une durée d’environ deux heures d’animation ( !), il raconte, dans le contexte politique compliqué d’un univers hypothétique et parallèle, l’envoi dans l’espace d’un homme. Au Japon, il est dans le top 10 des meilleurs films d’animation, mais demeure plutôt inconnu en France. Il est d’autant plus extraordinaire, qu’un tel film ne saurait être réalisé aujourd’hui. Mais ne nous y détrompons pas, car inversement, la chute des barrières techniques fait que l’on peut réaliser un film de qualité professionnelle avec une équipe très réduite, entendu que l’on soit motivé et talentueux. A l’heure actuelle, si on perd peut-être une forme de naïveté dans la mise en scène, on gagne en contre-pari la possible émergence de nouveaux talents, qui n’auraient jamais pu émerger il y a 20 ans.

 

Comment avez-vous connu Croq’Anime ?

Les bureaux d’Animeland furent pendant très longtemps situés dans le 20ème arrondissement. Or, Croq’Anime est un festival qui est né et se développe principalement dans le 20ème. Nous étions donc destinés à nous rencontrer. Puis, j’ai été invité à intervenir.

En 2012, vous avez animé la soirée d’ouverture en compagnie de Pierre Coffin et de Kyle Balda? Quel souvenir gardez-vous de cette expérience ?

Oui, j’avais accepté car j’avais déjà interviewé Pierre Coffin pour Animeland. Pour l’anecdote, chez Animeland, on l’avait déjà repéré bien avant qu’il ne devienne célèbre, quand il faisait encore des publicités décalées. On lui doit notamment l’écureuil de La Caisse d’Epargne, Dédé de la Française des jeux et les Loups des Pastilles de Vichy. Il travaillait alors pour un studio appelait Ex-machina, alors plutôt réputé dans le domaine de la 3D. Pour s’amuser, il avait aussi réalisé une série de courts métrages titré Pings, qui était un peu trash. Quand je l’ai interviewé pour Animeland, on a tout de suite sympathisé puis quand Sylvie lui a demandé de faire l’ouverture, elle m’a demandé de l’assister et j’ai donc naturellement accepté avec plaisir.

Et le festival ? Avez-vous apprécié sa sélection ?

Bien sûr ! Il est vrai qu’à l’heure d’aujourd’hui, il existe un certain nombre de festivals d’animation et un certain nombre aussi d’occasions pour assister à des projections, alors parvenir à initier quelque chose de différent a dû être difficile. La sélection de Croq’Anime a clairement sa place, car elle apporte un éclairage différent et donne de la visibilité à des courts métrages qui en méritent plus. Et puis j’aime sa convivialité, qui invite à faire de nouvelles rencontres.



Un message pour l’équipe ?

Poursuivez sur votre lancée ! Grandissez mais pas trop, car cette convivialité dont je parlais fait toute l’originalité de votre festival. Il faut trouver un juste milieu, c’est un peu ce que l'on essaye de faire chez Animeland. Gardez enfin votre fraicheur, votre enthousiasme.

Un court métrage animé qui vous a marqué ?



J'aime beaucoup Le Mont Chef (Atama-yama) de Kôji Yamamura, un court métrage japonais d'un réalisateur indépendant. Ce n'est pas très original car il a été déjà primé de nombreuses fois (notamment à Annecy), mais il montre bien une autre facette de l'animation japonaise, loin des clichés qu'on évoquait.

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