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Entrevue avec Yan Volsy

16 juillet 2013 | Paul Bourel

Yan Volsy, compositeur et superviseur sonore ayant travaillé sur de nombreux films d'animation, dont Mademoiselle Kiki et les Montparnos dernièrement, a gentiment accepté de nous recevoir dans son atelier, au coeur du quartier très animé de Belleville. Confortablement Installés entre un banjo, six guitares, une flûte basse et un bouzouki irlandais, nous avons discuté de sa passion pour les vibrations mélodieuses qui emplissent nos oreilles et rythment le film de nos vies !

 

Ce fut l'occasion de revenir sur son parcours déjà riche de nombreuses expériences. Yan assemble et rassemble depuis 1995 des sons et notes de musique pour toutes sortes de projets scéniques et audiovisuels : pièces de théâtre, jeux vidéos, films d'animation, documentaires, publicités... Il anime également des ateliers destinés à sensibiliser les collégiens à la narration sonore. Ses projets, ses modèles, ses inspirations, vous saurez tout sur Yan et son passionnant métier en lisant cette interview !

 

Bonne lecture !

Qu’est ce qui t’a poussé à devenir ingénieur du son ? Nourris-tu une passion pour la musique et les ambiances sonores depuis ton plus jeune âge ?

 

Alors pour répondre d’abord à la question musique : J’ai toujours fait de la musique aussi loin que remontent mes souvenirs. J’ai appris la musique avec quelques professeurs et surtout en autodidacte. Je n’avais j’avais envisagé d’en faire un métier avant que ça me rattrape à la fin de mes études. Je suis aussi ingénieur du son autodidacte.  Ça ne veut pas dire que j’ai tout appris tout seul mais que j’ai beaucoup lu ou écouté les gens auprès de qui je prenais des conseils ou travaillais.

 

Tu n’as donc pas une formation « scolaire » d’ingénieur du son ?

 

Non, j’ai une formation généraliste de concepteur-réalisateur audiovisuel. Un diplôme qui s’appelait à l’époque MST (rires), Maîtrise Sciences et Techniques audiovisuelles, un cursus qui préparait à l'écriture de films de commande et de documentaires. J’étais dans une section où les professeurs faisaient beaucoup de recherche sur le documentaire, et l'un deux, le regretté André Targe, qui était un homme tout à fait passionnant et exigeant,  m’a dit un jour  « tu feras un réalisateur au mieux médiocre mais par contre tu as vraiment quelque chose à faire du côté du son et de la musique. » J’avais déjà commencé à faire quelques musiques pour des pièces de théâtre, je faisais aussi des musiques pour des films de commande qu’on réalisait au sein de l’université. S’agissant de mon véritable démarrage professionnel, c'est en 1995.  A l’époque c’était le boum du multimédia : Les premières bornes interactives, les premiers CD ROM grand public. Le web en était encore à ses balbutiements.

 

Je me suis glissé dans cet univers pour répondre à une demande à laquelle très peu de gens répondaient à l’époque : Travailler à la conception et à la réalisation du son pour des applications interactives. En parallèle, j’ai continué à faire des bandes sons pour le théâtre car c’est quelque chose qui m’a toujours passionné. Mais ces deux activités sont reliées par la notion d’interactivité sonore : Une bande sonore au théâtre n’est pas figée, elle peut changer à chaque représentation. Dans le jeu vidéo non plus car les sons programmés dépendent des actions du joueur. Puis petit à petit, je me suis mis aussi à faire du son pour l’audiovisuel. là par contre, la bande son se fige à un moment donné, quand le son est mixé et collé aux images.

 

Justement, en particulier sur les courts métrages d’animation auxquels tu as participé, tu as été tantôt « ingénieur du son », tantôt « monteur », parfois mixeur, pourrais-tu nous expliquer clairement et rapidement la différence entre ces différent rôles ?

 

C’est le même métier à la base mais avec des fonctions un peu différentes. Le monteur son est celui qui va rassembler tous les sons enregistrés sur le tournage. Il fait en sorte que les différentes prises s’enchainent de manière propre et cohérente. C’est parfois compliqué. Il suffit qu’il y ait un raccord micro légèrement différent… Lui ou un autre va aussi monter les sons supplémentaires, qui n’ont pas été pris en direct. Ça peut être un bruitage fait en studio, une ambiance d’oiseaux ou le clocher d’un village qui sonne au loin par exemple. En animation c’est un travail énorme puisqu’il n’y a aucun son issu du tournage... Tout est fabriqué.

 

 

 

 

 

Tu as monté ton studio Ambitus en 1995. Comment cela s’est-il passé ? Tu étais seul ?

 

Oui, en rencontrant des gens qui travaillaient dans le multimédia à l’époque, j’ai eu besoin de ce studio pour répondre à une demande. J’ai obtenu ce qu’on appelait une « bourse défi jeune ». J’ai fait en plus un emprunt à la banque et j’ai démarré mon activité.

Tu as donc débuté à une période où le multimédia connaissait une modernisation galopante. Ca a représenté des investissements conséquents ?

 

A l’époque, le ticket d’entrée pour faire du son audionumérique était beaucoup plus élevé qu'aujourd'hui… Aujourd’hui, un jeune qui veut triturer du son, il achète un portable à 500 euros avec 2-3 logiciels libres (ou piratés d’ailleurs) (rires) et c’est parti ! En 1995 un disque dur d’un seul giga-octet coutait 10000 francs, soit plus de 1500 euros. Aujourd’hui une clé USB de 32 GO coûte 15 euros, ça donne une idée !

 

Tu as donc du renouveler ton matériel régulièrement ?

 

Aujourd’hui, l’informatique coûte assez peu cher. C’est le matériel audio professionnel autour qui est vraiment onéreux : Des enceintes très précises, des micros et leurs pré-amplis, les instruments de musique, l'acoustique de ton lieu de travail... C’est surtout là-dedans que j’investis. L’informatique, c’est presque devenu du consommable. J’achète un disque dur pour 60 € alors que quand j’ai commencé, c’était un investissement énorme pour 100 fois moins de capacité ! 

 

Et le mixeur ?

 

Le mixeur arrive en toute fin de projet pour assembler et équilibrer tous les sons sur sa console : Paroles, bruitages, musiques, ambiances… C’est lui qui va doser les espaces sonores du film, les réverbérations ou les échos. Il va placer les sons dans l’espace. C’est également lui qui est chargé d’adapter le son sur tous les formats de sortie d’un film : le cinéma, la télévision, internet, les DVD.. Il fait en sorte que le son soit le plus cohérent possible d'une norme à une autre. Le mixage Cinéma est très différent du mixage télé. Si tu regardes un film en mixage ciné sur ta télé, tu vas passer ton temps à baisser puis à remonter le volume. Un mixage adapté le fait à ta place ! Mais mis à part quelques courts métrages, je m’occupe rarement du mixage, je fais plutôt appel à des compagnons de route !

 

 

Tu es également compositeur, avec un album « miniatures » sorti en 2008 ( à écouter ICI ) As-tu le temps de te consacrer à la création musicale « libre » autant que tu le voudrais ?

 

Non, pas autant que je le voudrais... D’un autre côté, j’ai toujours composé dans un cadre apporté par un projet : Théâtre, jeux-vidéo, film et je suis très heureux là-dedans parce que les réalisateurs m’apportent des univers, des idées, un cadre sans lequel j’aurai tellement d’envies musicales que ça partirait dans tous les sens, ou me paralyserait... Pour Miniatures au départ j’avais seulement 2-3 morceaux qui ont beaucoup plu à un éditeur. Il m'a donc proposé de faire un album. Pour aboutir à un ensemble de morceaux et à une couleur générale, j’ai du m’inventer une histoire et un cadre.

 

Pour composer l’album Miniatures, tu t’es donc inventé une histoire .. Personnellement, j’ai trouvé qu’il y avait quelques morceaux qui passeraient extrêmement biens en animation...

 

Dans Miniatures, les musiques ne sont pas si faciles à utiliser car elles sont très narratives, avec des accidents et des relances. Elles racontent une histoire en elle-même. Les musiques que je compose pour les films ont en général des structures plus simples. 

Je complète l’idée qu’apporte l’image, je la soutiens ou je la contredis, tandis que Miniatures est un album que j’ai imaginé comme un dialogue entre plusieurs personnages-instruments, des jouets et des instruments plus « nobles ». Ce dialogue peut être trop « bavard » pour un film de fiction. Cela dit il y a régulièrement des demandes de synchro pour des documentaires, des bandes annonces, des publicités. 


Tu as travaillé sur une multitude de formats : Du court métrage d’animation au documentaire en passant par le théâtre et les jeux vidéo, qu’est-ce que ces multiples expériences t’ont apportées ? As-tu une préférence pour un format particulier ?

 

J’aime encore beaucoup le documentaire car c’est un terrain d’expérimentation pour la musique et le son que je trouve assez intéressant. Après, c’est vrai qu’aujourd’hui, mon format favori est l’animation. C’est en 2006 que je me suis dit que je voulais vraiment faire ça, après ma rencontre avec L’école de la Poudrière à Valence.

 

C’est ton expérience dans l’univers du jeu vidéo qui t’a naturellement conduit à l’animation ?

 

En fait non, c’est le théâtre ! C’est aussi des histoires de personnes et de rencontres : En 2006, l’école de La Poudrière voit arriver une nouvelle administratrice, Amandine Vassieux qui officiait auparavant au sein d’une compagnie de théâtre avec laquelle j’ai travaillé plusieurs années. Elle m’a appellé car elle s’est dit que certains projets des étudiants pourraient énormément me plaire et correspondre à mon univers musical. J'ai envoyé une démo, rencontré le directeur des études, Laurent Pouvaret, et le courant est bien passé. Au passage, cette école est à ma connaissance l'une des seules écoles françaises à financer les bandes sons des films de ses étudiants !

 

S’agissant de la musique et du son, dirais-tu que l’animation offre plus de liberté que la prise de vue réelle ?

 

Pas du tout, il n’y a pas nécessairement plus de liberté au sens où le film d’animation est un film comme un autre : on est d’abord au service de la vision du réalisateur. Si on est en face d’un réalisateur qui tient à ce que la parole soit mise en avant, et bien elle sera devant ! Porter un projet de court-métrage en animation, c’est énormément de boulot, il est courant que ça demande un investissement de 2 ou 3 ans de la part du réalisateur, c’est donc forcément quelqu’un de passionné, qui a une vision. Alors notre premier boulot n’est pas de faire des sons magnifiques mais de comprendre et de traduire au mieux les envies du réalisateur.

 

Pour prendre un exemple concret, peux-tu maintenant nous parler du court métrage Mademoiselle Kiki et les Montparnos dont tu as été le réalisateur sonore : Tout d’abord, comment as-tu été amené à travailler sur ce projet ?

 

J’ai rencontré Olivier Catherin, producteur aux 3 Ours qui m’a invité à une projection au studio des Ursulines où ils présentaient leurs films ainsi que le « work in progress » de Mademoiselle Kiki et les Montparnos. A ce moment-là, le travail sur l’animation avait à peine commencé. On a discuté avec Amélie Harrault, la réalisatrice, et elle m'a fait part de ses interrogations sur le son. Je lui ai demandé de m’envoyer son scénario pour que j’y jette un coup d’œil et c’est ce qu’elle a fait. Je lui ai donné mon avis, quelques idées, je l'ai alarmé sur le boulot qu’allait représenter la mise en place des voix et des ambiances. Ce retour l’a beaucoup intéressé et un an plus tard, Olivier m’a rappelé à sa demande pour travailler sur le film.

 

Il y a eu beaucoup d’expérimentations sonores pour ce court-métrage ?

 

Par exemple on a fait quelques recherches en essayant de placer certains sons cartoon : jazzoflute, crécelle... En forme de clin d'œil au dessin animé mais surtout parce que ce vocabulaire sonore du cartoon puise ses origines dans l’opérette et le cabaret en Europe, à l'époque de Kiki, avant d'être emmené par des artistes aux USA pour être finalement complètement récupéré, avec le génie qu’on connait, par certains compositeurs bruitistes comme Scott Bradley, le compositeur des Tom et Jerry ou Droopy. Bref, on a essayé de faire des clins d’œil à ces machines à son du cabaret et on s’est rendu compte que c’était beaucoup trop connoté cartoon américain. Ça ne marchait pas du tout pour Kiki. A l'inverse, la séquence de début est entièrement bruitée avec des bouts de papier, mais au départ personne n'y croyait !

 

Comment s’organisait ton travail ? Tu voyais Olivier et Amélie de façon régulière?

 

Le film était fabriqué à Angoulême donc on a plutôt travaillé à distance : Par mail, par téléphone. Mais Amélie était là pour donner son avis et pour orienter les acteurs quand on a fait les séances de bruitage et de voix, le montage son et le mixage final bien-sûr.

Et par exemple pour Kiki, la majorité du travail s’est faite ici, dans le studio où nous sommes ?

Moitié-moitié : Toute la préparation est faite ici. Après, tout ce qui est bruitage (avec un vrai bruiteur), l’enregistrement des voix et le mixage se déroulent dans des studios extérieurs.

 

Interviens-tu dans le choix des acteurs qui doublent les personnages ?

 

Oui si j’y suis invité. Là encore, il y a ce côté multi casquettes qui ressort. Normalement c’est le directeur de casting ou de plateau qui s’en occupe. Mais  j’ai commencé ma carrière dans le jeu vidéo, le multimédia et le théâtre. On travaillait en équipe réduite et on inventait véritablement nos métiers. Ce sont des secteurs où il n’y a pas les mêmes cloisons que dans le cinéma au niveau de la réalisation sonore. La première fois que je me suis occupé de la bande son d’un jeu vidéo, je me suis occupé de tout. Comme j’étais débutant, j’ai fait des erreurs bien-sûr (rires). Mais du coup j’ai développé un rapport à la réalisation sonore dans lequel je m’occupais de trouver les comédiens, de les diriger, de les enregistrer, puis de fabriquer les bruitages, de composer des musiques, de mixer, de programmer… Lorsque je suis arrivé dans l’audiovisuel, ça a été un peu compliqué au début parce que ce côté multitâches n’était pas forcément bien vu, ce que je peux comprendre : sur un projet de cinéma, étant donné les coûts et délais, chacun est à sa place et doit faire son boulot parfaitement, il y a très peu de place pour l'improvisation, même si ça reste un objet artisanal !

 

 

Et sur Kiki et les Montparnos, tu avais le rôle de monteur son pendant qu’Olivier Daviaud était en charge de la musique, avez-vous travaillé en étroite collaboration ?

 

Tout à fait, on s’est vu plusieurs fois. Là aussi c’est parce que la réalisatrice et le producteur ont très vite compris l’intérêt qu’il y avait à nous faire dialoguer. Personnellement, c’est une demande que j’ai à chaque fois, que je sois en charge du son ou de la musique : se rencontrer en amont, échanger. Parfois ça ne marche pas parce qu’il y a des films sur lesquels le compositeur ne va pas être disponible ou alors parce qu’il aura une volonté d’indépendance.

 

Et puis il y a d’autres projets où il y a un véritable échange qui s’installe. Il me parait complètement indispensable de s’asseoir autour d’une table avec le réalisateur, le compositeur, le monteur son et le producteur. On parcourt le scénario pour déterminer quels moments doivent être mis en musique et quelles émotions on veut transmettre : La peur par exemple, est-ce une musique ou un son ? On cherche un vocabulaire commun pour bien se comprendre. En règle générale, quand ça se passe comme ça, c’est un bonheur au mixage parce que les idées de chacun se complètent sans se marcher les unes sur les autres.

 

As-tu déjà fait des mauvaises expériences en matière de collaboration sonore justement ?

 

Oui, des bonnes et des mauvaises. Aujourd’hui je sais un peu plus les anticiper. Pour parler plutôt d’une bonne expérience, Olivier Daviaud a été une rencontre merveilleuse. C’est un musicien extraordinaire et il est toujours tourné vers l’échange. Dans Kiki, je trouve que ça se sent particulièrement. Il y a beaucoup de scènes où le son et la musique sont parfaitement imbriqués.

 

y-a-t ’il des personnes qui t’inspirent particulièrement dans le domaine de la musique en animation ou dans le cinéma en général ? Je pense à des personnalités comme Benoit Charest (compositeur des Triplettes de Belleville) , Pascal le Pennec (le Tableau), Yann Tiersen ?

 

Oui il y a beaucoup de personnes qui m’inspirent et m’apprennent beaucoup. J’adore être jaloux dans le bon sens du terme. J'appelle ça « la jalousie du musicien », celle qui t’encourage à te dépasser quand tu réalises que tu as encore beaucoup de progrès à faire pour arriver au niveau de créativité de certains ! Yann Tiersen typiquement.

 

C’est vrai qu’on sent les influences de ton homonyme dans tes compositions !

 

Je suis très touché par sa musique en effet, que ça soit celle qui l’a fait connaitre (Amélie Poulain) mais aussi ses premiers et ses derniers albums. C’est un musicien qui me touche particulièrement et il n’y a pas que lui ! Il y a des personnes qui m’inspirent énormément dans leur façon de travailler, dans le rapport qu’elles créent au travail : Christophe Héral en fait partie. Il est aussi compositeur et réalisateur sonore. Il a travaillé sur de nombreux films d'animation, sur des jeux vidéos aussi.

 

Un ou des films clés ?

 

Oui plein ! même quand ils n’ont pas de rapport avec l’animation. Les œuvres de Jacques Tati d’abord. Il ne faisait pas faire ses musiques à l’image, il demandait à un compositeur de lui faire un thème, après quoi il créait véritablement sa bande son. Il y passait parfois des années… 10 ans après, il pouvait décider de remixer un son qui ne lui convenait pas au final. Pour le coup, ça ne devait pas être facile de travailler avec un tel réalisateur.
Il y a aussi Terry Gilliam, son premier film, Bandits, bandits, a été ma première claque cinématographique.  En animation c’est la poésie de Jacques Prévert et le travail de Paul Grimault dans Le Roi et l’Oiseau.


Toutes ces œuvres-là ont tiré mes goûts et mon sens de l’esthétique vers une sorte de poésie burlesque. J’ai le sentiment que l’animation nous amène souvent vers cela.

 

 

 

 

Le premier film d’animation que tu as mis en musique Un gros Billet s’inscrit clairement dans cette veine-là !

 

C’est le tout premier film d’animation auquel j’ai participé. C’était le projet de fin d’étude de Frédéric Martin, issu de la première promotion de l’école Emile Cohl en animation. Benoît Chieux, le directeur artistique des longs-métrages de Folimage, qui était à l'époque intervenant dans l'école, m’avait contacté à en me disant qu’un étudiant avait besoin d’une bande son pour son film, je l’ai aidé avec plaisir.

 

Tu as travaillé avec beaucoup d’étudiants sur leur projet de fin d’étude. Tu interviens en plus ponctuellement dans les écoles pour sensibiliser les étudiants-réalisateurs à la narration sonore. En quoi consistent ces interventions ? Pourrait-on te définir comme une sorte d’éducateur au son ?

 

(rires) Oui je commence à avoir quelques connaissances et des idées qui se tiennent à peu près. J’ai l’occasion de les transmettre un peu et j’aime ça. Aujourd’hui, je ne veux pas devenir enseignant à temps plein mais il me semble très intéressant de pouvoir intervenir à l’occasion parce que ça nous oblige à garder un certain recul sur ce qu’on fait, à mettre en forme nos connaissances en couchant nos idées sur le papier.  Dans un film, le son est un très puissant outil narratif. Quand on décrit des choses compliquées dans un scénario, le son est parfois plus éloquent ou plus facile à faire que l’image. J’essaie d’aider les étudiant à acquérir des outils, des repères en sémiologie sonore pour qu’ils puissent comprendre et analyser des intentions sonores, quand ils pensent souvent avant tout au visuel.

 

Que penses-tu de la bande son, très lyrique et instrumentale, des films de Miyazaki par exemple ?

 

Chez Miyazaki, c’est vrai qu’on trouve un côté très symphonique mais il y a aussi un côté zen et naturaliste avec une très forte présence de la nature, des éléments, du silence aussi. Il peut y avoir aussi des moments très violents au niveau du son dans ses films. Je ne suis pas un spécialiste de l’histoire japonaise mais j’ai l’impression que la culture de ce pays est un mélange entre le zen et le catastrophisme, le sentiment que les catastrophes naturelles ou humaines sont au cœur du destin des Japonais. On retrouve un peu de ces éléments contradictoires dans le lyrisme de la musique de Joe Hisaichi, le compositeur de Miyazaki.

 

Une question plus terre à terre à présent : Comment as-tu connu Croq’Anime ?

 

Je crois que j’ai croisé Sylvie il y a deux ans au forum des images. Je me suis dit : «  quel est ce drôle de personnage que je commence à voir à chaque pince fesse autour de l’animation ? » (rires) On avait discuté un petit moment. L’année dernière je suis d’ailleurs passé à la 5ème édition du festival.

 

Tu es d’ailleurs plus qu’invité à la 6ème édition qui aura lieu début Septembre ! D’ailleurs, pour la première fois, un prix récompensera la musique d’un des courts-métrage cette année. Est-ce que tu vois ça comme un progrès ?

 

C'est super mais pour moi le vrai progrès serait qu’on attribue « un prix pour la bande son », partagé entre le compositeur et le réalisateur sonore. Sur un plan purement légal, le compositeur est co-auteur du film alors que le réalisateur sonore est un technicien, et en règle générale, on met en avant le compositeur car la musique touche plus directement le public. S’agissant du son, tout le monde trouve simplement normal qu’on entende un personnage marcher dans une rue calme quand un personnage marche dans une rue calme.

 

Le son brut n’a pas toute la dimension poétique et libératrice de la musique..

 

Contrairement à la musique le son brut ne nous touche que rarement aux  tripes... Mais on ne se rend pas toujours compte que dans un film tout ça fonctionne ensemble : Le public va retenir une musique parce qu’à un moment donné, le silence du son a permis à la musique de se développer, ou que la musique se marie tellement bien avec le son que ça crée une espèce d’osmose qui parle à notre âme. Donc un prix partagé serait magnifique !

 

Toi-même tu as été récompensé plusieurs fois, en 2006 mention spécial du Jury pour la bande-son de L’Œil du cyclone

 

Oui je me souviens que c’était en Suède au festival Animex. Mon nom était tellement mal orthographié sur le diplôme que Julien Bisaro (réalisateur de l’œil du cyclone) est allé chercher qu’il n'a même pas osé me le donner ! (rires)

 

 

Tu as aussi reçu le prix Sacem pour la meilleure musique au festival de Clermont en 2011 pour M'echapper de son Regard de Chen Chen. C’est important pour toi justement, d’acquérir une reconnaissance « institutionnelle » ?

 

Bien sûr ! Je ne vais pas faire le faux modeste ! Clermont, je me suis dit «le plus gros festival international de court métrage et j’ai le prix de la musique, c’est quand même pas mal !» Mon seul regret est que je n'y étais pas pour recevoir le prix. Cette année je suis resté pour la remise des prix à Annecy et j’ai eu beaucoup de plaisir à voir les étoiles qui pétillaient dans les yeux des récompensés. Je me suis dit que si j’avais pu aller chercher mon prix à Clermont, j’aurai surement vécu un super moment ! Parce que c'est un moment unique et qui n'arrive qu'une fois !

 

 

Mais non Yan ! Ce n’est que partie remise !

 

(rires) En tout cas, le plus important est d’avoir le sentiment d’avoir fait un beau boulot, comme sur Kiki. J’ai été invité 2-3 fois avec Amélie et Olivier pour aller à la rencontre du public et c’est toujours un bonheur ! Pouvoir défendre un beau travail comme ça, montrer aux gens qu’on ne s’est pas moqué d’eux et qu’on a fait le maximum pour leur faire passer un bon moment, c’est génial. Bien plus important que de recevoir un prix ! D’autant plus qu’on a une forte responsabilité car ce film, comme la plupart des courts-métrages, a été produit en partie grâce à des subventions publiques.

 

Tu peux nous parler de tes projets en cours et de ce que tu aimerais faire ?

 

Alors j’ai commencé ma matinée en continuant les maquettes d’un court métrage  d’Elie Chapuis : Imposteur , co-produit par les 3 Ours justement. Un film de 5 min en stop motion qui risque d’être assez excellent.. Une histoire de cerf qui prend la place d’un homme… Je ne t’en dis pas plus ! On enregistre à la fin du mois d'aout.

 

Ensuite il y a le court métrage de Sarah Saidan , Beach flags , coproduit par Folimage et Sacrebleu. Je vais composer la musique, et on discutait encore tout à l'heure au téléphone de trucs autour des demandes d'aides pour l'enregistrement. Et juste avant que tu arrives j'avais un rendez-vous avec une autre ancienne étudiante de la poudrière, Mai Nguyen, qui souhaite me confier la réalisation sonore de son prochain court-métrage. J’ai aussi un quatrième projet en cours avec 2 coréalisatrices, un film en gravure animée. Les courts métrages d’animation vont m’occuper pas  mal de temps comme tu peux le constater !

 

Mais il y a aussi une  jolie série pour les tout petits créée par Folimage et coproduite avec canal + family. Ainsi que la supervision sonore d'un long métrage d’animation, plutôt ados-adultes, tout ça c'est pour l'année prochaine.

 

J’ai l’impression que tu interviens assez tôt dans les projets, c’est toujours le cas ?

 

Oui, quand on m’appelle, c’est de plus en plus tôt. A l’instar de Christophe (Héral), qui est vraiment un exemple pour moi, j'essaye de faire comprendre aux producteurs et réalisateurs à quel point c’est important d’être présent le plus en amont possible d’un projet afin que la musique et le son bénéficient d'une vraie réflexion « sur le papier ». L’animation est tellement longue à fabriquer que ça nous laisse le temps à nous, les fabricants de son, de prendre le temps de réfléchir en amont, même si concrètement, ce n’est qu’à la fin qu’on met vraiment les mains dans le cambouis.

 

Justement, tu es très occupé… Peux-tu t’offrir le luxe de choisir les projets auxquels tu souhaites collaborer ?

 

Aujourd’hui je pourrais me permettre de dire non à des gens avec qui je n’ai pas envie de travailler mais d'une part je n’ai pas tant de demandes que ça et d'autre part il y a très peu de gens qui ne me donnent pas envie de travailler ! (rires) donc j’ai plutôt tendance à être un peu boulimique.

 

Sans parler de l'atelier jeune public que tu as créé avec l'association  A.A.A ( Ateliers Animation d’Annecy ), peux-tu nous en parler rapidement ?

 

Je fais 7 ou 8 interventions dans l’année avec des collégiens. Notre objectif est de leur faire prendre du recul par rapport à l’image en leur montrant que le son, c’est aussi de la triche, que tout peut être fabriqué pour faire vrai avec du faux. Par exemple, on fait un son de porte en frottant une chaise par terre, le tonnerre en sautant tous ensemble dans la classe !  Ils s’amusent comme des petits fous, mais c’est avant tout de l’éducation à l’image, et une initiation à l'écoute collective puisqu'en fin d'atelier ils rebruitent tout en direct avec chacun la responsabilité d'un bruitage !

 

 

 

 

 

Dernière question :  As-tu un soundtrack à nous faire partager ?                

 

Oui, écoute ça: Conversation avec Lucien

 

Yan a gentiment accepté de nous confier en exclusivité un morceau composé pour, dit-il, « garder le souvenir de ses premiers échanges avec son jeune fils Lucien ». A l’aide d’un toy piano et d’une table d’activités sonores pour les petits, il nous fait voyager dans leur monde onirique…

La musique ? C'est un jeu d'enfant !

 

Bonne écoute à tous :-) 

 

 

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