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11 juin 2013 | Alexis Rosier

Critique de Chemin Faisant de Georges Schwizgebel

On ne présente plus Georges Scwizgebel, maître de la métamorphose entre les maîtres du cinéma d’animation suisse, auteur entre autre de La Jeune Fille et les Nuages, prix du cinéma suisse en 2002 et plus récemment du métaphorique Retouches. Cette année, il nous revient avec un nouveau court métrage, intitulé Chemin Faisant, qui s’inscrit dans le cadre d’une collection de 55 films, La Faute à Rousseau, mêlant fictions, documentaires, essais et monté à l’initiative du cinéaste Pierre Maillart à l’occasion du tricentenaire de la naissance du philosophe suisse des lumières.

Chemin Faisant est d’abord et avant tout un hommage à un Rousseau méconnue du grand public, mélomane, à la vocation musicale contrariée, qui trouva malgré tout en la littérature un espace de composition, si silencieux fût-t-il, dont il en sortie des œuvres aussi majeurs que le Dictionnaire de la musique ou tout le chapitre des Confessions alloué à l’éloge de la mélodie, Où il est parlé de la mélodie et de l’imitation musicale. Le réalisateur extrait de ces ouvrages la quintessence des réflexions du philosophe sur la musique, à commencer par celle sur la mélodie, définie par Rousseau comme une faculté connectée à l’imaginaire et plus apte que l’harmonie, selon lui,  à retranscrire les passions humaines. Il en découle à nos oreilles une mélodie, signée Jacques Robellaz, porté par un violon aux mouvements sonores anguleux qui danse aux frontières de la discordance et s’accorde aux images dans une stridente symétrie. La mise en scène semble réglée à l’horaire de l’archet qui l’élance, avec des mouvements complexes de caméras, tantôt lents et ronds puis tantôt rapides et heurtés, faisant que l’œil de celle-ci semble continuellement osciller entre la cadence de la valse et celle de la fuite.

Loin de faire danser le spectateur avec des jeux d’associations faciles, revus et revus, succombant à l’irrésistible et inépuisable flot de la métaphore et loin de l’hypnotiser en ayant recours à des mouvements, des sons et des couleurs propices à cet exercice, Georges Scwizgebel suggère par ses lignes le cheminement d’une méditation mnémonique. Celle-ci obéit à un ordre, celui de la ligne organisée, du carré, du cadre, du groupe équilibré de ligne qui fixe et ordonne le temps dans un espace certes éphémère mais maitrisé, quand la ligne isolée et flottante, symbolisée par l’arbre, serait l’indice de la fluctuation, de l’évanouissement, en bref de l’évanescent. Cet ordre n’est possible que s’il est la résultante d’une volonté sans faille, traduite à l’écran par les mouvements de caméra déterminés, dont je parlais précédemment, qui trahissent la démarche d’une pensée mure et affirmé. Ainsi, si la musique donne de l’ordre aux sons, la volonté  donne de l’ordre à la l'esprit, donc à sa marche, sa ligne, dans un effort de ressouvenance.


Car ce court métrage raconte un esprit qui touche à l’automne de ses idées (Baudelaire) d’où la gamme de couleurs automnales, dans des tons pastels, que viennent trancher les couleurs vives et primaires du carré conclusif, moteur de la mémoire. Méditer relève de la projection, de la réflexion profonde et mure, mais également du soin. Or, la mémoire n’est-elle pas et le cataplasme et le catalyseur de la nostalgie et de la mélancolie ? Si l’on suit cette interprétation, Chemin faisant ne serait alors ni plus ni moins que le cheminement labyrinthique, par mouvements métaphoriques, rythmiques et sonores, d’un esprit vers son intériorité ; et cet esprit serait celui de Rousseau comme semble l’indiquer les quelques indice tels que les salons Louis XIV, ou l’habit du discret flutiste. Rêverie en un sens, d’un promeneur solitaire, pour reprendre le titre d’un ouvrage de Rousseau, car la marche est aussi le tracé d’une ligne, aussi spirituelle que physique ; dans le court métrage, la ligne spirituelle, celle qui intéresse le réalisateur, se fait au sein d’un huis clos, ces salons Louis XIV dont nous parlions, manière de traduire les chambres de l’esprit, à travers lesquels l’homme, plus il s’enfonce en leur sein, plus est à même à se saisir dans sa profondeur. La présence dans ces salons, si futiles et évasives, des cinq sens représentés par les symboles corporelles qui leur correspondent n’est là que pour rappeler que les sens sont, dans la philosophie rousseauiste, les vecteurs de l’imagination – l’odorat entre tous. Et quand enfin l’homme, aux tréfonds de sa conscience, touche sa mémoire dans un effort intense pour se souvenir, ce sont les territoires de l’universalité qu’il touche également du bout du doigt et le réalisateur de nous les suggérer au nombre de trois : l’amour, la mort et l’enfance.

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 

 

Face à la limpidité, à l’écoulement tranquille et régulier du temps, de la mort en ce qu’elle est inscrite dans chacun des gestes écoulés au cours de la vie, n’existe que le remède du fou ou du condamné à mort : la marche infinie, la fuite, imprévisible, non linéaire, mélodie en mouvement du corps dans les paysages.

 

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