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Entrevue avec Olivier Catherin des 3 Ours

 22 juillet 2013 | Alexis Rosier et Paul Bourel

D'abord administrateur à l'AFCA, Olivier Catherin est un des initiateurs de la journée mondiale du cinéma d'animation.En 2008, avec Serge Elissalde et Jack Wang, il fonde les 3 ours, sa propre maison de production. Désireux de mettre en lumière des créations originales, les 3 amis ont déjà produit ou participé à l'élaboration d'une vingtaine de courts métrages dont Betty's Blues et Mademoiselle Kiki et les Montparnos.

 

Cette interview a été l'occasion de revenir sur les nombreuses expériences du producteur, de connaitre son point de vue et ses réflexions sur son métier et sur les enjeux de la production animée aujourd'hui. Olivier Catherin nous a également parlé de l'édition 2013 du festival d'Annecy. Biensûr, pour finir en beauté, vous saurez tout des futures pépites en préparation avec les 3 Ours !

 

 

Bonne lecture !

 

 

 

 

 

 

 

 

Pouvez-vous nous parler de ce qui vous a amené à vous lancer dans l’animation ?

 

C’est un parcours un peu tortueux puisqu’au départ, j’ai fait des études d’ethnologie. Au moment où j’ai commencé ma thèse, si le sujet d’étude me passionnait, j’étais en revanche moins enthousiaste à l’idée d’en faire mon métier. A ce moment-là, j’avais  également un boulot étudiant et on m’a proposé de devenir cadre dans l’entreprise en question. J’ai fait ça quelques années avant de me rendre compte que ça n’était pas vraiment ma vocation. En parallèle, je m’intéressais beaucoup au cinéma et j’ai eu l’envie de faire quelque chose dans ce domaine. J’avais d’ailleurs travaillé sur le cinéma dans le cadre de mes recherches anthropologiques. Et puis j’ai découvert les films de Iouri Norstein dont la richesse m’avait passionné à la fois en tant que cinéphile et en tant qu’ethnologue. C’est là que j’ai commencé à me rapprocher du cinéma d’animation, secteur dans lequel il y avait encore beaucoup de choses à faire et qui ne pâtissait pas du côté « strass et paillettes » du milieu. J’ai donc négocié un licenciement et j’ai changé de domaine en faisant plusieurs stages. C’est d’ailleurs comme ça que j’en suis venu à rentrer en contact avec l’association française du cinéma d’animation (AFCA)

 

Vous avez parlé de Norstein, en quoi ses films vous intéressaient-ils en tant qu’ethnologue ?

 

Parce qu’il me semblait que c’était à chaque fois un condensé d’univers culturels. La forme du conte, très utilisée par ce réalisateur, est une sorte de synthèses des valeurs véhiculées par la culture. L’aspect visuel également renvoie à des tas de choses, cela se voit dans la façon dont sont montrés les personnages ou dans le fait de mettre en scène toute sorte d’animaux... Tous les codes culturels utilisés sont d’une grande densité. Ces évocations passent souvent dans un premier temps par les enfants avant de se diffuser ensuite aux adultes. Par l’intermédiaire de ces référents, Norstein parvient à faire passer des messages très forts.

 

 

 

              Olivier vu par Serge Elissalde

En tant qu’administrateur de l’AFCA (Association Française de Cinéma d’Animation), vous avez été chargé de la mise en place de la journée mondiale du cinéma d’animation. Comment s’est-elle orchestrée ? Quels souvenirs en gardez-vous ?

 

Quand j’étais administrateur de l’association, on a entendu parler d’une initiative de l’association international du film d’animation : celle-ci avait envie de célébrer la date de la première diffusion d’un film d’animation (28 Octobre 1892 NDLR). Je me suis dit que c’était l’occasion de créer une manifestation autour de ce format. Je suis donc devenu salarié de l’AFCA pour monter cet évènement à une échelle nationale. J’ai donc appelé des cinémas, des médiathèques pour montrer le cinéma d’animation partout en France, notamment le court métrage.  L’idée était que chaque lieu culturel exerce une certaine pédagogie autour du domaine très large et méconnu de l’animation, tout en faisant un lien avec d’autres formes artistiques. Dès la première année on a travaillé avec le théâtre de la marionnette et un musée d’art contemporain  par exemple. Dans les médiathèques, on a fait des choses autour du livre et de l’enfance. Ca a plutôt bien marché même si au départ, les gens étaient un peu démunis. On a proposé toute une palette d’activités ludiques pour les familiariser avec l’animation : Projection, conférence, intervenants… Par la suite, cette initiative s’est exportée au niveau international par le biais de l’ASIFA, de cinémas, de musées, de centres d’archives…

 

Est-ce que les créateurs ( réalisateurs, produteurs ) étaient directement impliqués dans l’organisation de cette journée ?

 

Oui car c’était une façon pour eux de promouvoir leurs oeuvres. On pouvait demander à un cinéma sur le point de diffuser un film d’animation de projeter aussi un court métrage. Le mieux étant d’inviter en prime son réalisateur à venir en parler au public ! C’était et c’est toujours une façon de mettre en avant leur travail.

 

Quand vous avez quitté l’AFCA en 2008, qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans la production ?

 

Lorsque je travaillais à l’AFCA, je devais répondre à beaucoup de gens qui avaient des questions d’ordre historique ou technique du type: « Comment monte-t-on un film d’animation ? Où trouver les financements ? » Il s’agissait aussi bien de personnes en école d’animation que de personnes qui ne s’y connaissaient pas bien du tout. Je me suis beaucoup renseigné sur le sujet et j’ai eu la chance de pouvoir suivre et aider certains projets alors qu’ils étaient encore au stade embryonnaire. Par l’expérience, j’ai donc pu comprendre le système en profondeur. Il y a eu aussi tout un concours de circonstances qui m’a poussé à devenir producteur, notamment ma rencontre avec Serge Elissalde. A vrai dire, ce n’était pas prémédité du tout !

Justement, Pourriez-vous revenir sur cette rencontre avec Serge et sur le début de l’aventure des 3 Ours ?

 

On se croisait de tempes en temps alors que j’étais encore à l’AFCA car il travaillait dans un atelier à proximité des locaux. Et puis nous nous sommes tous les deux rendus à un festival en Chine, en tant que représentants de l’animation française. Pendant l’évènement, il m’a confié qu’il souhaitait s’impliquer pour des projets autres que les siens, que la production  l’intéressait mais qu’il ne s’était jamais lancé par crainte des « lourdeurs administratives ». C’est aussi là qu’on a rencontré Jack Wang, déjà producteur en Chine à l’époque, qui connaissait Serge pour avoir travaillé avec lui sur plusieurs films. Son idée était de participer à l’initiative avec l’ambition de monter des projets franco-chinois. On espère bien que ça se fera un jour d’ailleurs !

 

 

Peut-on parler d’une ligne éditoriale aux 3 Ours ?

 

Nous n’avons pas vraiment de ligne éditoriale aussi marquée que Autour de minuit par exemple.
Disons que la ligne éditoriale des 3 Ours se caractérise surtout par ce qui nous plait, à Serge et à moi-même (rires) Ca donne des choses assez variées, pas hyper classiques en général. Il y a des films que Serge aime beaucoup alors que j’accroche moyennement et inversement. Mais si l’un d’entre nous n’aime vraiment pas un projet, on ne se lance pas. 

 

Privilégiez-vous une technique en particulier ?

 

Non pas vraiment, en fait il y a deux éléments. D’abord le fait que Serge excelle en 2D et qu’il maitrise mal la 3D. Ensuite c’est vrai qu’il y a une question de goût. Personnellement, je préfère la 2D à l’image de synthèse, mais ça dépend comment on utilise. J’aime beaucoup la marionnette et le mélange de techniques également.

 

Richard Van dem Boom, décrivait le producteur comme un soutien, un accompagnateur. Êtes-vous d’accord avec lui ? Comment voyez-vous votre travail auprès des réalisateurs ?

 

S’agissant du court métrage,  le producteur suit le projet depuis son écriture jusqu’à sa diffusion. Effectivement, dans ce cas-là, on a un double rôle. Dans un premier temps, on aide à l’éclosion du projet afin que l’auteur accouche du meilleur possible. En effet, il arrive que ces derniers aient du mal à formuler l’idée qu’ils ont en tête. Le producteur joue donc un rôle pour parvenir à l’extraire. Ensuite il y a les aspects matériels et administratifs que le réalisateur n’a pas forcément envie de gérer. Au niveau financier, je suis assez pour le fait de procéder de manière collégiale avec le réalisateur de façon à ce qu’il soit impliqué et « responsabilisé » dans les dépenses et dans les choix qu’il faut faire à un moment donné.
 

Quand j’étais à l’AFCA je me suis rendu compte que la plupart des disputes entre réalisateurs et producteurs avaient trait à l’argent… Par exemple, un auteur peut vouloit prendre une décision artistique qui a de lourdes conséquences budgétaires. S'il n'a pas conscience des conséquences financiers de ses choix, il peut ne pas comprendre le refus du producteur. Il y a souvent un problème de communication entre les deux. Pour éviter ça, je préfère impliquer le réalisateur. Mais cette façon de faire a aussi ses limites : Les choix doivent se faire à deux et ce n’est pas toujours simple. Par ailleurs, pour certains réalisateurs, cet aspect matériel n’est pas concret du tout. Il faut prendre beaucoup de temps pour leur expliquer. En même temps, cette manière de procéder est à la fois beaucoup plus simple et beaucoup plus saine.

 

Avez-vous déjà eu des problèmes à ce niveau-là ?

 

Oui, avec quelqu’un avec qui j’étais très ami avant ! A la base, nous étions dans une relation amicale et il y a tout de suite eu un déséquilibre qui s’est créé. On était plus dans un rapport de producteur à réalisateur mais dans un rapport où il y avait de l’affectif. Sa demande ne correspondait pas à ce qui était possible, sans parler d’éléments plus personnels.

 

Le projet a été avorté du coup ?

 

Non, on est allé jusqu’au bout mais c’est vrai que les relations ont été très tendues pendant la production… Aujourd’hui je travaille de nouveau avec cette personne, ça s’est plutôt bien terminé.

 

Quand vous prenez la décision de produire un projet, quels éléments avez-vous à disposition ?

 

Quand on décide de se lancer, c’est qu’on est convaincu par le scénario. Parfois je reçois un scénario intéressant mais qui doit être retravaillé, il y a des fois où ça ne passe pas malgré les retouches donc on laisse tomber. En général on part donc d’un scénario, j’ai souvent des éléments graphiques qui comptent aussi dans le choix. Le troisième élément important c’est la personnalité du réalisateur : on va travailler ensemble pendant plusieurs années donc il est nécessaire que l’on s’entende bien, qu’on parte en confiance.

 

Pour revenir sur la production et ses problématiques de manière plus générale, on observe une tendance à l’internationalisation de la production animée, de quel œil voyez-vous ce phénomène ?

 

L’internationalisation de la production est devenue indispensable en matière de séries et de longs métrages pour des raisons de montage financier. Elle se développe aussi pour le court métrage mais pour d’autres raisons. Il y a deux aspects. D’abord,  dans beaucoup de pays  Il est difficile de produire des courts métrages. En Grande Bretagne, en Italie, en Espagne, les aides apportées à la création animée sont insuffisantes voire inexistantes. En Europe de l’Est ou Centrale aussi il y a eu un grand trou. Aujourd'hui la production est repartie, mais les financements sont insuffisants, ils ne peuvent pas mener à bien leur projet dans des conditions satisfaisantes. Ils sont souvent en recherche de coproducteurs. En Grande Bretagne ou en Italie, ils sont carrément en recherche de producteurs à 100% car ils n’ont rien. Du coup il y a beaucoup de réalisateurs étrangers qui viennent s’adresser à nous, producteurs français, car ils savent que nous sommes mieux lotis qu’eux à ce niveau-là. Inversement, Il nous arrive aussi d’être en recherche de complément de financements ou de compétences à l’étranger. 

 

Donc les 3 Ours ont déjà coproduit avec l’étranger ?

 

Oui, je viens de terminer une coproduction avec la Slovaquie qui s’est très bien passée. S’agissant de cette œuvre (Neige d'Ivana Sebestova) hormis l’aspect budgétaire, le fait que je sois intervenu n’a pas changé grand-chose au résultat final. Evidemment, à un moment j’ai donné mon avis sur le scénario mais rien n’a été fondamentalement changé.

 

 

 

 

 

 

 

 

Le fait de travailler en coproduction avec l’étranger ne pose pas trop de problèmes d’organisation, de coordination ?

 

Si, c’est forcément un peu plus compliqué mais en même temps, c’est excitant de faire ça avec de nouvelles personnes. Les coproductions existent aussi au niveau national, que ce soit pour des séries ou pour des courts, on a travaillé avec au moins 6 ou 7 sociétés différentes. On arrive à s’organiser pour que ça fonctionne.

 

Pour continuer sur le même domaine. Selon vous, que peut-on faire contre la délocalisation qui touche le cinéma d’animation ?

 

On peut même dire que l’industrie de l’animation s’est construite en grande partie sur la délocalisation. La particularité de ce type de cinéma est qu’il coûte très cher en salaire. Il y a 25 ans, il y avait beaucoup de petits boulots dans ce domaine: la trace, la gouache par exemple, qui ne demandait pas de compétences énormes mais qui nécessitait un temps de travail conséquent. Très vite, les producteurs français, américains, japonais se sont rendus compte qu’ils pouvaient faire des économies substantielles en sous-traitant ce type d’activités dans des pays où la main-d’œuvre est beaucoup moins chère. A partir de la fin des années 80-90, époque à laquelle la production animée française était en pleine expansion (séries, longs métrages), on a assisté à des délocalisations. En Europe centrale dans un premier temps, puis en Asie : Chine, Corée du Nord. Aussi surprenant que cela puisse paraitre, L’animation est une des spécialités de ce pays (rires).
C’est le pays le moins cher dans ce domaine et il y a de réelles compétences ! Il y a deux points de vue sur cette question : Le premier est de crier au scandale, de dire que c’est une façon de cautionner un système politique qui ne respecte pas les libertés fondamentales. Le deuxième est de se dire que c’est une des seules façons pour eux de s’ouvrir sur l’extérieur et qu’ils en sont très demandeurs. Il faut voir…

 

Pour revenir sur l’enjeu des délocalisations, c’est devenu problématique car, à part l’activité de création, il n’y avait plus de travail en France dans ce secteur.  On gagnait certes au niveau budgétaire mais on perdait aussi beaucoup au niveau de la qualité. On a donc assisté à un mouvement de rapatriement des capitaux, couplé à la mise en place du crédit d’impôt pour favoriser l’industrie animée française. Je me rappelle qu’une des premières séries à avoir été développée dans cette optique, c’est l’adaptation du petit vampire de Johan Sfahr

 

Dernière question d'ordre un peu « économique », il y a un sujet brûlant en ce moment : la négociation d’un accord de libre-échange avec les USA, quel impact cela pourrait-il avoir sur l’industrie de l’animation française ?

 

Toute l’industrie du cinéma en France est construite sur une logique de mutualisation. C’est le principe du CNC, on ponctionne de l’argent issu de l’industrie du cinéma et on le réinjecte en le répartissant de façon plus harmonieuse pour aider l’action culturelle, la création d’auteur etc.. C’est ça l’exception culturelle : On ne fait pas jouer les lois du marché dans un domaine qui relève de l’action culturelle et de la création artistique. Evidemment, si on était sur un modèle purement industriel, toute une partie n’existerait plus. Aux USA, en parallèle de la grosse industrie culturelle, il existe aussi des œuvres d’auteur mais qui sont financés sur leur propre compte ou avec l’aide de mécènes.

 

En France, il n’y a pas de pratique de mécénat ou très peu, ce n’est pas dans notre tradition culturelle. Si ce traité venait à toucher les produits culturels, seules les grosses industries pourraient subsister. Dans les pays où celle-ci n’est pas très développée, ils ne tiennent pas le coup parce qu’ils n’auront jamais les moyens de rivaliser avec le cinéma américain. D’autre part, ce système ne leur permet pas de sortir des œuvres originales. Aux USA, les longs métrages ne sont pas très originaux car ils sont toujours hyper calibrés pour le marché. C’est possible en revanche pour le cinéma en prise de vue réelle parce que les budgets peuvent être beaucoup plus limités.

 

Donc si ce traité venait à inclure les produits culturels, il y aurait une perte phénoménale au niveau de la qualité des films ?

 

En animation, il n’y aurait plus vraiment de créations originales. On a vu récemment des choses très intéressantes sortir de différents pays européens, tout ça disparaitrait ! Aujourd’hui une partie de la production japonaise en animation est obligée pour survivre 
d'inclure des marques publicitaire dans leurs films. Si une œuvre devient un objet publicitaire, c’est qu’il y a quand même un gros problème !

 

Parlons un peu du festival d’Annecy, qu’avez-vous pensé de la programmation/sélection cette année ?

 

Alors, je n’ai vu que les courts métrages et les films de fin d’étude, ce qui est déjà pas mal en fait ! (rires) J’ai trouvé la sélection plutôt intéressante, il y a eu des années où les sélections étaient assez faibles. En 2013, dans l’ensemble c’était plutôt bien. Il y a eu des choix courageux, avec beaucoup de films  expérimentaux. Il y avait aussi des petits films rigolos qui venaient équilibrer une programmation marquée par des courts métrages un peu tristes.

 

 

Avez-vous identifié des grandes tendances, des thèmes, des techniques qu’on retrouvait dans plusieurs courts métrages ?

 

L’hybridation évidemment. Cependant,  je n’ai pas trouvé qu’il y avait beaucoup de grands films par rapport à certaines années. J’étais très perplexe devant le palmarès avant qu’il ne soit annoncé. Pendant les éditions précédentes, il y avait souvent 2-3 films qui sortaient vraiment du lot. C’était moins évident cette année : le film qui a reçu le cristal a d’ailleurs été apprécié de façon très partagé. 

Vous avez eu un film coup de cœur ? votre cristal personnel ?

 

Pas un en particulier en fait, il y a des films qui m’ont surpris, celui de Tom Schroeder par exemple Marcel, king of tervuren, une tragédie grecque qui a pour interprètes principaux deux coqs belges. Après ce n’est pas non plus un  très grand film. Pour tout vous avouer, j’aurai été bien embêté si j’avais du décerner un cristal... (Rires)

 

Qu’est ce qu’un grand film pour vous ?

 

C’est un film qui me bouscule, qui m’émeut, qui me surprend, que je trouve très audacieux.

 

Pourriez-vous m’en citer un ?

 

The Last Bus, qui n’avait pas été pris en sélection à Annecy  l’année dernière pour des raisons « techniques ». Il y aussi Le film Père et Fille de  Michael Dudok de Wit ou  Ryan  de Christian Landerth.  A chaque fois, en sortant de la séance, je me suis dit : « Ces films vont marquer l’histoire de l’animation ». Cette année je n’ai pas ressenti un tel enthousiasme… Après, il faut toujours se méfier de ce genre de discours parce que je vais à Annecy depuis 15 ans donc il peut aussi y avoir un phénomène d’usure... Le film qui m’a le plus plu cette année, c’est Palmipedarium de Jérémy Clapin. C’est un film à la fois très étrange et très poétique. Le premier court-métrage de ce réalisateur était joli mais pas très aventureux, le deuxième était aussi très séduisant mais c’est vraiment le 3ème que j’ai trouvé le plus audacieux.

 

 

 

 

 

Qu’est-ce que la direction de Marcel Jean a changé au festival ? Avez-vous senti une évolution dans la façon de présenter le cinéma d’animation ?

 

Ce qui m’a marqué, c’est la qualité des programmations à côté : il y a eu une véritable recherche de films, on a senti que ce n’était pas paresseux. Je trouve qu’il y a eu aussi un vrai travail au niveau des rencontres avec les réalisateurs. Tous les matins, il y avait un échange avec les réalisateurs en compétition, Marcel Jean était très à l’aise. Il faut dire qu’il s’y connait plutôt bien en matière de cinéma !

 

Comment appréhende-t-on un festival comme celui d’Annecy en tant que producteur ? Est-ce qu’on y va pour défendre ses propres productions ? Ou au contraire y va-t-on pour faire de nouvelles rencontres ou dans l’espoir de découvrir de nouveaux projets ?

 

Il y a plein de raisons ! On est évidemment là pour nos films sélectionnés mais j’y suis aussi souvent allé sans qu’une de nos œuvres aient été choisies. On est là pour rencontrer un grand nombre de partenaires, de chaines, qui peuvent aider à faire avancer les projets. La partie « découverte » est également très importante. Prendre le temps de voir les courts métrages ou les films de fin d’étude me semble primordial. Cela permet de repérer des gens. Souvent, les réalisateurs qui s’adressent à moi sont étonnés parce que je connais leurs films, même quand leur projet de fin d’étude a 10 ou 15 ans ! C’est important dans la relation qu’on a avec eux parce que le regard n’est pas le même : Ils ne sont pas devant un producteur anonyme mais devant quelqu’un qui connait déjà leur travail.

 

Aviez-vous un stand au MIFA ?

 

Alors je n’avais pas de stand à proprement parlé mais j’étais sous l’ombrelle Poitou-Charentes (rires !). Souvent, les régions accréditent un certain nombre de producteurs. J’ai donc obtenu une accréditation MIFA gratuitement. J’ai pu également prendre des rendez-vous dans le stand en question.

 

On sait que l’animation est fortement influencée par les innovations techniques, De quel œil voyez-vous cela ?

 

C’est vrai qu’aujourd’hui, il est plus simple de faire un film d’animation qu’il y a 10 ans. Le numérique change beaucoup de choses. C’est beaucoup plus léger, moins onéreux … Pourtant il y a un danger : le numérique permet de retoucher les films à l’infini. Je me souviens que quand Florence Miailhe est passée pour a première fois au numérique pour Conte de quartier, elle se demandait si, à force de le retoucher, elle avait vraiment amélioré son film… Finalement, le risque est d’oublier l’essentiel : le message qu’on cherche à faire passer ou l’histoire qu’on veut raconter, pour ne s’occuper que de la forme. Parfois, dans l’animation comme dans la prise de vue réelle d’ailleurs, le premier jet est le bon. A force de le refaire, on perd une espèce de fraicheur qui faisait tout l’intérêt de la chose. il faut donc faire attention : d’un côté, le numérique simplifie les choses mais de l’autre, il peut contribuer à les complexifier à l’infini. Après c’est vrai que ce format permet de créer des univers très originaux, d’ouvrir des portes vers des mondes et des modes de narration qui n’ont pas encore été explorés.

 

Vous avez des exemples ?

 

J’ai un exemple qui est à la fois bon et mauvais : Ryan de Chris Landreth. Mauvais parce que c’est uniquement de la 3D mais en même temps, c’est une 3D qui s’approche tellement du réel que le résultat est un entre deux. Le film trouve son équilibre entre quelque chose qui relève à la fois du documentaire et de l’animation. Je pense aussi à Love Patate de Gilles Cuvelier qui s’inscrit dans un décor local/régional en adéquation avec le propos ou encore Madame Tutli Putli, film de marionnettes canadien où les personnages ont de véritables yeux. Ca lui donne une étrangeté fascinante car le fait de donner de vrais regards aux protagonistes vient renforcer l’émotion véhiculée. On a essayé de faire ça de façon beaucoup plus modeste dans « tempête dans une chambre à coucher ».

Au regard de ces évolutions techniques, pouvez-vous spéculer sur les tendances qui vont marquer le film d’animation dans les 10 prochaines années ?

 

Je pense qu’on va se diriger de plus en plus vers des films qui vont mélanger les univers, aussi bien pour des œuvres très réalistes que pour des œuvres qui s’approchent de la fantaisie. On peut prendre des exemples. S’agissant des œuvres réalistes, on va vers du documentaire comme dans Valse avec Bachir. L’idée est d’utiliser l’animation pour  illustrer certaines choses qu’on ne pourrait pas montrer autrement. Quant au côté fantaisiste, je pense également au dernier film de Ari Folman ,Le congrès, dans lequel les personnages sont transposés dans un univers virtuel. On peut aussi imaginer un film qui mélange complètement virtuel et réel. Avec les outils dont on dispose aujourd’hui, on risque d’aller dans cette direction-là. Et on peut aller très loin !

 

Le clivage entre prise de vue réelle et cinéma d’animation est donc voué à disparaitre ?

 

En tout cas pour une partie des films, ça me semble évident oui !

 

 

 

 

Cette année, la thématique retenue pour la fête du cinéma d’animation est urbanima : La rue, la ville, la jungle urbaine… Est-ce un thème récurrent dans le cinéma d’animation ?

 

Oui, d’une certaine façon. Aujourd’hui, le cinéma d’animation s’occupe d’avantage de notre environnement, de notre vie quotidienne qu’il y a quelques années. Après, de là à parler de récurrence… C’est très variable d’une année sur l’autre. J’ai l’impression, en revanche, que la gamme des thèmes abordés par le cinéma d’animation est de plus en plus large.

 

Comment expliqueriez-vous le succès du documentaire en animation ? Comment se fait-il que de plus en plus de réalisateurs se tournent vers ce genre ?

 

Le documentaire animé a vraiment commencé à apparaitre dans le court métrage il y a 10 ans mais le film qui a tout changé, c’est Valse avec Bachir. Ce film a bénéficié d’une exposition extrêmement large. Tous les cinéastes et tous les réalisateurs ont eu envie de faire leur documentaire. C’est peut-être un effet de mode. En même temps, c’est vrai qu’animation et documentaire se marient très bien : dans le docu, on est dans des faits abordés de manière très frontale. L’animation apporte un côté plus intime. Pour certains sujets, ce qui ne pouvait passer que par les mots peut désormais être exprimé par l’image : Les cauchemars, les traumatismes d’un personnage par exemple.

 

Peut-on dire que l’animation élève le documentaire à un rang plus « artistique » ?

 

Non je ne crois pas. Il s’agit juste d’une autre façon de représenter les choses. En revanche, il est important de déterminer quand cela est utile ou pas. Il y a des faits bruts qui sont difficiles à retranscrire, des images qui peuvent heurter véritablement les spectateurs. Avec de l’animation, on peut rendre cela plus accessible.

Pour aborder un sujet plus terre à terre, quels rapports entretiennent les maisons de production avec les chaines de télévision ?

 

En général, c’est le producteur qui fait les démarches pour soumettre un projet à une chaine. Après, ce n’est pas les mêmes choses selon qu’on parle de court-métrage, de long-métrage ou de séries. Pour le court-métrage, les chaines sont présentes dans les commissions du CNC donc il arrive que ce soit elles qui nous contactent. Cela marche dans les deux sens, nous avons besoin d’elles comme elles ont besoin de nous. En règle générale, dans les chaines de télévision, les personnes qui sont en charge des courts métrages n’ont pas énormément d’importance en matière d’enjeux et d’audiences. Par conséquent, lorsqu’elles participent à un projet particulièrement réussis, elles ont à cœur de le mettre en avant. Cela s’est vu avec Mademoiselle Kiki et les Montparnos : Hélène Vayssières, qui est en charge des courts métrages à Arte, en était très fière. Elle a même organisé une projection avec la directrice générale. C’est important car après une telle expérience, un véritable lien peut se créer. De fait, nous allons coproduire un documentaire animé avec la chaîne !

 

Pouvez-vous nous en parler ?? J’ai cru comprendre qu’Amélie Harrault allait y participer…

 

Il s’agit d’une série documentaire qui fait 6 fois 52 minutes dont le thème sera la vie artistique de 1900 jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale. Elle sera basée sur les livres écrits par Dan Franck. Le sujet sera traité à la fois par le biais d’images d’archives et d’animation. On oscille d’ailleurs entre documentaire et fiction. Certaines choses seront racontées, d’autres inventées, notamment quand il faudra mettre les artistes de l’époque en situation. En tout,  Il devrait y avoir environ 90 minutes d’animation. Les initiateurs du projet avaient à cœur de laisser une place significative à cette technique de narration. Ils ont mis plus d’un an à trouver la personne capable de s’en charger, jusqu’à ce qu’ils tombent sur Mlle Kiki. C’est d’ailleurs l’équipe du film, un peu renforcée, qui va travailler sur ce projet !

 

Et quel sera le fil conducteur ?

 

Les différentes périodes historiques feront office de fil rouge. Chaque épisode correspondra à une période précise, dans un ordre chronologique.

 

Vous nous mettez l’eau à la bouche ! Avez-vous une idée de la date de sortie du premier épisode ?

 

Nous commencerons la fabrication début 2014. Il y a une phase assez longue de préparation. Je pense que le premier épisode sortira 3 mois après.

 

Et combien de personnes travailleront sur la partie animation de la série?

 

6 ou 7 personnes, l’ambiance sera donc familiale et artisanale (rires)

Comment avez-vous connu Croq’Anime ?

 

Grâce à la fête du cinéma d’animation. Quand Sylvie a créée l’association, elle a tout de suite voulu participer à cet évènement. On a eu des premiers contacts dans ce cadre-là. Ensuite nous nous sommes vus au Forum des Images pour les Carrefours de l’animation qui avaient été créés en collaboration avec l’AFCA. Je suis venu lui rendre visite dans les locaux de Croq’Anime !

 

Vous avez donc connu le projet à ses tout débuts. Avez-vous noté une évolution ? L’esprit du début est-il toujours présent ?

 

J’ai l’impression que oui. Ce qui est compliqué lorsqu’on monte un tel projet à Paris, c’est d’exister. Il y a déjà tellement de choses ! Après, l’association a réussi à acquérir une visibilité au niveau du quartier et du monde de l’animation. Tout repose sur l’énergie qu’une personne arrive à fédérer autour d’elle. Même des manifestations qui existent depuis très longtemps restent très fragiles ; je pense au festival Silhouette notamment.

Un message pour l’équipe ?

 

Courage ! J’ai vu qu’un crowdfunding a été lancé, j’espère que ça va marcher ! Organiser des manifestations culturelles de ce type, c’est toujours un vrai combat… Il faut être endurant. C’est avec la durée que les choses finissent par se solidifier. Je me rappelle de la nuit de l’animation à Lille par exemple. Organisée avec très peu de moyens au début, elle est devenue un évènement phare aujourd’hui. Le succès fait qu’au bout d’un moment, les financeurs institutionnels finissent par suivre. L’évènement devient alors incontournable jusqu’à un certain point. C’est vrai qu’en ce moment, le contexte n’est pas des plus favorables.

 

Vous avez ressenti les effets néfastes de la crise sur votre activité ?

 

Pas trop par rapport à d’autres secteurs même si les chaines de télévision et les régions ont pu réduire un peu leur budget.

 

Vous pouvez nous citer un court métrage animé qui vous a particulièrement touché ?

 

Dans les choses récentes, il y a The last bus qui m’a beaucoup marqué. D’abord, à priori, c’est un projet improbable. Je pense que si on me l’avait présenté, j’aurai été un peu dubitatif (rires). Le scénario en lui-même est risqué parce que finalement il ne se passe pas grand-chose et la mise en scène, avec ces acteurs aux têtes d’animaux, a tout pour être ridicule, surtout au regard du sujet : Des réfugiés qui fuient les persécutions… Pourtant ça fonctionne juste bien parce qu’on est toujours à la limite du pathos sans jamais tomber dedans. Le fait qu’il soit été tourné en 3-4 images par seconde donne une dimension extrêmement déstabilisante au tout. Ce film est magnifiquement réalisé, il se dégage une émotion presque « magique » des personnages. Je crois aussi que la musique joue un rôle important.

 

D’où vient le réalisateur ?

 

C’est une réalisatrice Slovaque, Ivana Laucikova. Je la connais car nous sommes en train de coproduire un film avec elle en Slovaquie. Elle a également lancé une revue très intéressante sur le cinéma d’animation : Homo Felix. Dans un des numéros, j’ai écrit un long article sur l’école des Gobelins.

 

Pensez-vous que la musique et de façon plus générale, l’univers sonore d’un film, tient une place encore plus importante en animation ?

 

Oui c’est évident. Toute la création sonore, son et musique, sont fabriqués in extenso. En animation, on ne restitue pas une réalité, on fait une évocation de cette réalité et cela implique de véritables choix. On met l’accent sur certaines choses et on en supprime d’autres. A mon avis, le travail sonore doit se faire très en amont d’un film. J’aime bien qu’au moment où les réalisateurs démarrent un film, ils aient déjà une idée du traitement sonore de celui-ci. C’est important qu’il y ait un véritable échange entre le réalisateur et le créateur sonore.

 

C’est ce qui s’est passé pour Mademoiselle Kiki et les Montparnos d’ailleurs !

 

Tout à fait, Yan Volsy est intervenu un an avant la fin de la fabrication du film. De la même façon, les musiciens sont arrivés assez tôt. Ils ont donc eu le temps d’échanger. Souvent, les réalisateurs qui manquent un peu d’expérience s’occupent de la partie sonore au dernier moment… C’est vraiment dommage de bâcler cet aspect car un film prend réellement vie lorsque le son fait son entrée.

 

Pouvez-vous nous parler un peu des futures productions des 3 Ours ?

 

Oui, nous avons deux films quasiment terminés : Le premier s’appelle Le 3ème œil de  Jérôme Perrillat-Collomb. il fait 11 minutes et raconte l’histoire d’un personnage qui a des tocs, des attitudes très obsessionnelles. C’est typiquement un film d’atmosphère. Le travail sur l’image est presque achevé, il ne reste qu’à lui ajouter la bande-son, qui va être primordiale pour que ça fonctionne bien justement ! Le tournage du deuxième film, Imposteur, vient de se finir. C’est une coproduction avec la Suisse et JPL films en Bretagne. Le récit d’Imposteur ne peut exister qu’en animation : C’est l’histoire d’un cerf qui passe devant une maison et aperçoit une famille heureuse. Il envie ce bonheur. Il attaque l’homme de la maison et parvient à échanger sa tête avec lui. Au début, la femme et le petit garçon sont très effrayés mais petit à petit, il se noue quelque chose entre la mère et cet homme-bête. C’est alors que l’homme revient pour se venger… je ne vous raconte pas la suite ! (rires)

 

Quel spitch ! Dernière question : qui est le réalisateur de cette histoire troublée ?

 

Il s’appelle Elie Chapuis, c’est un ancien de l’EMCA également. Il a beaucoup d’expérience dans l’animation de marionnettes notamment. Et c’est Yan Volsy qui supervisera une nouvelle fois toute la partie sonore.

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