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Betty's Blues de Rémi Vandenitte
... comme une balade fabuleuse en Lousiane !

25 avril 2013 | Alexis Rosier

Betty’s Blues est un conte vaudou sur fond de racisme et de musique comme on désirait plus s’en voir conter. A grands élans de blues lancinants et de voix profondes comme des pianos bars, on est emporté durant douze minutes dans la campagne moite et fascinante de la Louisiane fantasmée des années 20.


Le prologue et l’épilogue de Betty’s prennent place dans un bar louisianais, aux murs recouverts de papiers peints vieillots tout tapissés d’affiches de concert de blues et de jazz délicieusement surannées et animé par une assemblée hétéroclite de marionnettes. C’est au sein de ce décor à l’ambiance pénombrée, propice à la réception en bonne et due forme d’une histoire, qu’entre, mantelé de mystère, la figure mélomane de notre conteur ; et lui d’introduire Blind Boogie Johns, le héros dont il va nous animer la légende fantastique avec sa voix et sa musique. La motivation dans le choix des marionnettes est à chercher à un niveau méta-filmique. Si Rémi Vandenitte tire en effet les ficelles de ses marionnettes, la marionnette du blues man tire celles de son récit. Or, en mettant ainsi en abyme sa personne de narrateur, le réalisateur suggère un théâtre d’ombres et de fils, mais surtout remémore à l’esprit d’une façon originale, car plastique, la corrélation entre le marionnettisme et la narration. En outre, l’enfoncement progressif du spectateur dans les différents niveaux du récit est accompagné d’une nette déréalisation, traduite à l’écran par le changement de technique et synonyme d’un enfoncement dans l’univers de la fiction : des marionnettes, automates encore vaguement humaines,  qui attestent que nous sommes encore dans une certaine forme de réalité, on passe au dessin 2D traditionnelle, rappelant néanmoins les marionnettes par un effet de bois dans le coup de crayon, mais essentiellement inspiré par les gravures de conte telles que celles de Gustave Doré pour les Contes de Perrault, où l’univers de la fiction peut éclater dans toute son étrangeté.

Car a l’instar du topoï de la forêt magique dans les contes, refuge d’un folklore tumultueux et ambigüe, la Louisiane de Betty’s Blues est aussi envoutante qu’elle épouvante : assemblée spectrale du Ku Kux Klan s’y rencontre au détour d’une église anglicane, sorciers vaudous aux visages de morts y hantent les nuits à la faveur de l’orage.  Ces sursauts sonnent comme des notes dissonantes dans la musique des paysages qui défilent, tout en lignes, à nos yeux ; on peut y voir une manière de traduire à l’image ces notes dites bleues qui font la particularité du blues.



Betty’s blues est enfin et surtout un court-métrage qui extrait la quintessence du blues : il est chargé de la tension des langueurs. Si on suit avec plaisir, envouté par sa guitare ensorcelée, dont les plaintes se mêlent à la musique des paysages, Blind Boogies Johns au fil de ses digressions sur les routes sinueuses de Louisiane, le diable bleu mélomane semble si inéluctablement attiré par sa fin que la tension de sa chute persiste tout le long du court-métrage. Le style graphique, aux surlignages très prononcés et aux couleurs très vives, parvient très justement à illustrer cette tension, ainsi que la symbolisation qui est faites des éléments constituants les paysages du sud de l’Amérique (champs de coton, vieux saules des rives du Mississippi, église anglicane …). Si l’on ajoute à ça le fait que toute superficialité est drainée du récit, à l’instar du conte, qui bannit tout élément adventice ou superflu à sa stricte réalisation, la tension est à son comble, redoublée par la musique, omniprésente en l’absence de dialogues. La moiteur étouffante de la Louisiane jaillit presque à l’écran.

Betty’s blues, produit par Les Films du Nord et Les 3 Ours (coproducteurs) vaut donc moins pour ses références  et allusions historiques, qui restent plutôt anecdotiques, en particulier celle de la fresque sociale qui est rapidement esquissée, que pour le charme marécageux de son histoire d’amour et de vengeance, encensée par sa bande sonore enivrante. Car c’est bien à une balade sur les routes dansantes de la Louisiane que nous invite Rémi Vandenitte, son réalisateur et scénariste ; une balade avec un guide aveugle, mais à la guitare diablement séduisante.

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