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13 juin 2013 |

Critique de Peau de Chien de Nicolas Jacquet

Peau de chien est un court métrage animé de la plus noire espèce. La bille de sa noirceur suinte par tous les pores de ses images. Nicolas Jacquet signe une horreur.


Elle a quelque chose de sordide et de pittoresque, de sale et d’aseptisée, la France qu’il découpe. D’un côté, elle empeste la guerre, a des relents sinistres de vieille France mal dans sa peau, par des systèmes d’échos nous évoque le spectre à casque de pointe de la seconde guerre mondiale et d’un autre, elle est d’une si outrageuse contemporanéité. Enfer gris au visage des villages comme en compte à foison la France rurale, avec son boucher, son bar-tabac au nom sportif, endimanché et ses venelles, souvent médiévales, mais pas ici: le décor du drame est fumé. Un filet de radio suffit à l’ambiance, électrique, suggère un pays en proie à l’hiver de sa politique, l’imbibant d’une indélébile morosité. L’ombre d’une capitale Maldororienne, pavé par la cruauté et les omnibus fantômes, n’est pas si lointaine. Nous sommes en France, mais ailleurs, ailleurs, mais en France. Il est tôt, et tard. Noir et blanc, du bien et du mal, nous sommes dans l’intemporalité totale.


Nicolas découpe. Le découpage hante le film, réflexion opératoire, d’un chirurgien de l’image sur sa technique, le patwork photographique, la couture des corps en papiers pour le plaisir de leur découpage. Il suit, ses ciseaux, ses lames, sa trousse noir en cuir de docteur en main, poursuit son héros dégingandé, désarticulé, malhabile de ses membres qui enfile le manteau d’un mort pour échapper à la poursuite de la mort : un chien. Métaphore d’un bon nombre de figures romanesques, dont l’émigré déboussolé, comme le suggère Michel Roudevitch, ce héros au moi fragmenté, souligné si génialement par l’emploie de la technique du papier découpé et d'un montage hachées de plans rapides, touche à mesure qu’il est retouché. Car revêtant les vêtements d’une puissance sociale telle qu’elle fait se métamorphoser le dit chien en homme, ce qui porte à penser que le discours politico-social de son court-métrage est bien plus fort qu’il ne le parait déjà, Nicolas est d’une cruauté sans nom et les grands yeux de son héros canin de nous souligner toute l’ironie de celle-ci.

Allons, c’est une vie de chien à l’envers, qu’il nous fait là. Nous dirait-il qu’une peau d’homme est si pire, si peau de chagrin, qu’un chien voudrait s’en débarrasser, en conséquence de quoi le chien ne sait pas la chance dans sa gamelle ? Peut-être, car cela expliquerait cette lointaine parenté génétique que Nicolas rappelle à nos yeux en affublant de groins les visages des habitants patibulaires de sa Ville. Fallait-il nous évoquer cette vieille lune porcine pour dire combien les hommes sont des porcs en temps de guerre, délattant leurs voisins pour un morceau de jambon avarié et trois patates même pas rondes. Le pire des chiens serait-il toujours moins pire que le pire des hommes ? La cruauté l’apanage de la pensée commerçante ? Passons.



Car non content d’invoquer tout l’héritage surréaliste, dont La Métamorphose d’un certain Kafka, ou l’humour noir, s’il en est, d’un dénommé André Breton et tout le rapport conflictuel de l’esprit au corps de l’ombre d’Artaud, Nicolas Jacquet dépeint par le déplacement une France moderne, ma France, votre France, notre France bien-aimée, à l’aune d’une crise historique.

Il la dépeint en proie à une métamorphose perpétuelle et généralisée, un cancer, un chaos interne et silencieux tel un Ovide contemporain qui aurait la tâche d’inverser la logique de ses séculaires Métamorphoses. Que nous dit au fond la gradation dans l’horreur et la chute, enfin, sinon que le pire est devant nous, la négation suprême de l’autre en sa qualité d’être humain à une famine d’éclater, que l’opulence macabre en grossissant ira à mesure que l’indigence rétrécira les toits, les salaires et les ventres ; que la conjoncture sévira sur les corps et sur la santé mentale  même des chiens, qui se croiront hommes et hommes se vêtiront !

Monde de fou que le monde de Nicolas Jacquet. Alors que reste-t-il comme solution finale quand la confiance en son boucher se délite, que trouver son identité demeure impossible dans une société qui la dénie, que la vermine dort sur les masses dans l’or et l’ordre, sinon celle de l’ironie la plus grise, du rire le plus noir.

11 juin 2013 |

Critique de Chemin Faisant, Georges Schwizgebel

On ne présente plus Georges Scwizgebel, maître de la métamorphose entre les maîtres du cinéma d’animation suisse, auteur entre autre de La Jeune Fille et les Nuages, prix du cinéma suisse en 2002 et plus récemment du métaphorique Retouches. Cette année, il nous revient avec un nouveau court métrage, intitulé Chemin Faisant, qui s’inscrit dans le cadre d’une collection de 55 films, La Faute à Rousseau, mêlant fictions, documentaires, essais et monté à l’initiative du cinéaste Pierre Maillart à l’occasion du tricentenaire de la naissance du philosophe suisse des lumières.

Chemin Faisant est d’abord et avant tout un hommage à un Rousseau méconnue du grand public, mélomane, à la vocation musicale contrariée, qui trouva malgré tout en la littérature un espace de composition, si silencieux fût-t-il, dont il en sortie des œuvres aussi majeurs que le Dictionnaire de la musique ou tout le chapitre des Confessions alloué à l’éloge de la mélodie, Où il est parlé de la mélodie et de l’imitation musicale. Le réalisateur extrait de ces ouvrages la quintessence des réflexions du philosophe sur la musique, à commencer par celle sur la mélodie, définie par Rousseau comme une faculté connectée à l’imaginaire et plus apte que l’harmonie, selon lui,  à retranscrire les passions humaines. Il en découle à nos oreilles une mélodie, signée Jacques Robellaz, porté par un violon aux mouvements sonores anguleux qui danse aux frontières de la discordance et s’accorde aux images dans une stridente symétrie. La mise en scène semble réglée à l’horaire de l’archet qui l’élance, avec des mouvements complexes de caméras, tantôt lents et ronds puis tantôt rapides et heurtés, faisant que l’œil de celle-ci semble continuellement osciller entre la cadence de la valse et celle de la fuite.

Par-là, le réalisateur questionne le rapport du son à l’image, de l’image à l’esprit, de l’esprit au son ; au même titre que la mélodie du violon épouse celle de la pensée, qui est image à l’écran, cette dernière épouse celle du violon ; accélération, décélération expriment le mouvement fluctuant de la pensée en proie à la spirale des images, qui est d’une cruelle cohérence bien qu’elle obéisse aux lois chaotiques de l’obsession. Il y a ainsi ce passage où les images par secondes s’amenuisent au point d’être nulles l’instant d’une demi-seconde, signe d’un essoufflement de l’esprit, avant de rejaillir à un rythme encore plus rapide et emporté. Le choix de la peinture animée prend alors tout son sens, grâce à son épaisse fluidité qui semble charger l’image de mélancolie.

Loin de faire danser le spectateur avec des jeux d’associations faciles, revus et revus, succombant à l’irrésistible et inépuisable flot de la métaphore et loin de l’hypnotiser en ayant recours à des mouvements, des sons et des couleurs propices à cet exercice, Georges Scwizgebel suggère par ses lignes le cheminement d’une méditation mnémonique. Celle-ci obéit à un ordre, celui de la ligne organisée, du carré, du cadre, du groupe équilibré de ligne qui fixe et ordonne le temps dans un espace certes éphémère mais maitrisé, quand la ligne isolée et flottante, symbolisée par l’arbre, serait l’indice de la fluctuation, de l’évanouissement, en bref de l’évanescent. Cet ordre n’est possible que s’il est la résultante d’une volonté sans faille, traduite à l’écran par les mouvements de caméra déterminés, dont je parlais précédemment, qui trahissent la démarche d’une pensée mure et affirmé. Ainsi, si la musique donne de l’ordre aux sons, la volonté  donne de l’ordre à la l'esprit, donc à sa marche, sa ligne, dans un effort de ressouvenance.


Car ce court métrage raconte un esprit qui touche à l’automne de ses idées (Baudelaire) d’où la gamme de couleurs automnales, dans des tons pastels, que viennent trancher les couleurs vives et primaires du carré conclusif, moteur de la mémoire. Méditer relève de la projection, de la réflexion profonde et mure, mais également du soin. Or, la mémoire n’est-elle pas et le cataplasme et le catalyseur de la nostalgie et de la mélancolie ? Si l’on suit cette interprétation, Chemin faisant ne serait alors ni plus ni moins que le cheminement labyrinthique, par mouvements métaphoriques, rythmiques et sonores, d’un esprit vers son intériorité ; et cet esprit serait celui de Rousseau comme semble l’indiquer les quelques indice tels que les salons Louis XIV, ou l’habit du discret flutiste. Rêverie en un sens, d’un promeneur solitaire, pour reprendre le titre d’un ouvrage de Rousseau, car la marche est aussi le tracé d’une ligne, aussi spirituelle que physique ; dans le court métrage, la ligne spirituelle, celle qui intéresse le réalisateur, se fait au sein d’un huis clos, ces salons Louis XIV dont nous parlions, manière de traduire les chambres de l’esprit, à travers lesquels l’homme, plus il s’enfonce en leur sein, plus est à même à se saisir dans sa profondeur. La présence dans ces salons, si futiles et évasives, des cinq sens représentés par les symboles corporelles qui leur correspondent n’est là que pour rappeler que les sens sont, dans la philosophie rousseauiste, les vecteurs de l’imagination – l’odorat entre tous. Et quand enfin l’homme, aux tréfonds de sa conscience, touche sa mémoire dans un effort intense pour se souvenir, ce sont les territoires de l’universalité qu’il touche également du bout du doigt et le réalisateur de nous les suggérer au nombre de trois : l’amour, la mort et l’enfance.


Face à la limpidité, à l’écoulement tranquille et régulier du temps, de la mort en ce qu’elle est inscrite dans chacun des gestes écoulés au cours de la vie, n’existe que le remède du fou ou du condamné à mort : la marche infinie, la fuite, imprévisible, non linéaire, mélodie en mouvement du corps dans les paysages.

 

10 juin 2013 | catégories: les articles

Feu sur le Festival !

Le Festival Internationnal du Film d'Animation d'Annecy a ouvert les attractions de sa 37ème édition en ce lundi 10 juin 2013. Afin d'inaugurer les festivités, la Croq'Team vous invite à vous préparer aux projections à venir avec, d'une part, deux articles critiques de deux courts métrages sélectionnés en compétitions à Annecy: Kiki et les Montparnos et Betty's Blues et, d'autre part, l'interview de Marcel Jean, le nouveau directeur artistique du Festival, qui vous donnera une compréhension plus globale des enjeux de cette 36ème édition !



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